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Haïti appréhende le retour de milliers de compatriotes menacés d’expulsion

A Royal Canadian Mounted Police officer, left, standing in Saint-Bernard-de-Lacolle, Quebec, advises migrants that they are about to illegally cross from Champlain, N.Y., and will be arrested, Monday, Aug. 7, 2017. Officials on both sides of the border first began to notice last fall, around the time of the U.S. presidential election, that more people were crossing at Roxham Road. Since then the numbers have continued to climb. (AP Photo/Charles Krupa) Photo: Archives Métro

PORT-AU-PRINCE, Haïti — Les 58 000 Haïtiens qui risquent de ne plus pouvoir rester aux États-Unis après 2019 seront forcés de rentrer au bercail, ce qui pourrait mettre une pression migratoire et économique insoutenable pour le pays le plus pauvre des Antilles.

«Ce serait une véritable crise de recevoir toutes ces personnes en Haïti. Nous portons encore les cicatrices du séisme en 2010 et de l’ouragan Matthew (survenu en octobre 2016). Le pays ne peut pas absorber ça», estime Géralda Sainville, porte-parole du Groupe d’appui pour les réfugiés et rapatriés (GARR), un organisme basé à Port-au-Prince. Les dégâts laissés par la tempête sont évalués à près de 2G$, ce qui représente 20% du PIB du pays.

L’administration Trump devrait faire preuve d’ouverture face à la situation qui perdure au pays, considère Mme Sainville. «L’une des principales raisons d’être du programme était humanitaire. Il faudrait évaluer si c’est encore valable pour Haïti», laisse tomber la porte-parole. Plus de la moitié de la population, soit 59% des Haïtiens, vivent sous le seul de la pauvreté avec seulement 2,41$ par jour, selon la dernière enquête auprès des ménages de la Banque mondiale.

Le pays n’a aucun plan de réintégration pour ses exilés, déplore-t-elle, en faisant référence aux rapatriés de la République dominicaine dont le permis de séjour était expiré. En 2017, plus de 46 000 ressortissants haïtiens ont été rapatriés dans des conditions souvent dégradantes: de nombreux cas de détention, de maltraitance et de destruction de documents d’identité commis par des agents de la police dominicaine ont été rapportés à la frontière.

«Beaucoup de gens nous disent qu’ils ont laissé leur emploi (en République dominicaine), leurs enfants là-bas. Ils ne veulent pas rester en Haïti et sont prêts à prendre des risques pour y retourner», affirme Mme Sainville.

Un grand nombre d’expatriés au statut temporaire, dont ceux basés aux États-Unis, sont des «migrants productifs, payeurs de taxes et des résidents respectueux de la loi depuis plusieurs années». Environ 81% d’entre eux occupent un emploi, rapporte le Centre d’études sur les migrations (Center for migration studies) de New York.

Si les ressortissants doivent revenir massivement dès 2019 en Haïti, l’économiste haïtien et professeur à l’Université Quisqueya Etzer Emile est persuadé que cette situation aurait pour effet de déséquilibrer l’économie. «Ces Haïtiens ont l’habitude de faire des transferts d’argent. Cela pourrait avoir un impact sur l’inflation et le taux de change aussi», estime l’expert.

Haïti est le deuxième plus grand bénéficiaire des transferts d’argent de la diaspora. En 2017, ce montant était évalué à 2,4G$ et 60% de cette somme provenait des États-Unis, selon un récent rapport de la Banque mondiale sur les migrations et le développement.

Tout risquer pour fuir

Selon le politologue et professeur au Centre d’études diplomatiques et internationales (CEDI) à Port-au-Prince Fernando Estimé, il n’est pas étonnant d’avoir vu plusieurs migrants haïtiens entrer illégalement au Canada depuis l’été dernier. Les bénéficiaires du statut temporaire sont prêts à miser gros pour éviter leur retour en Haïti.

Et le fait que seulement 10% des demandes d’asiles sont acceptées n’a rien pour les dissuader. «Dans la mentalité haïtienne, on se dit que c’est déjà mieux que rien. Avec 10% de chances, on est réellement prêts à jouer. L’impossible pour eux, c’est de revenir en Haïti», soutient le spécialiste.

Ce dernier considère aussi que l’État haïtien n’est pas en mesure d’accueillir convenablement ses exilés. «À ma connaissance, il n’y a aucun préparatif en cours. Le gouvernement a d’autres chats à fouetter.»

Appelés à réagir à la situation, ni le ministère des Affaires étrangères, ni le ministère des Haïtiens vivant à l’étranger ni la Primature n’ont donné suite à nos demandes d’entrevue répétées.

Pour sa part, l’ambassade du Canada en Haïti relance cette mise en garde: les migrants haïtiens «prennent des risques énormes et entreprennent ce dangereux voyage sur la base de fausses informations et de fausses promesses», avertit-on par courriel.

«Le gouvernement du Canada n’a pas de programme spécial dans le cadre duquel il accorde le statut de réfugié à des personnes aux États-Unis qui bénéficient actuellement d’un statut de protection temporaire ou d’un autre statut. Le fait de ne pas avoir de statut aux États-Unis ou de perdre son statut ne constitue pas un motif d’acceptation d’une demande d’asile au Canada. Les personnes qui demandent l’asile doivent prouver qu’elles fuient la persécution et qu’elles ont besoin de la protection du Canada», poursuit l’ambassade.

«Il devrait y avoir une attention spéciale à notre situation», considère Farah Larrieux, une personnalité haïtienne vivant aux États-Unis depuis 2005. Elle milite également pour sa cause et celle de tous les bénéficiaires du statut temporaire. Selon elle, la solution passe par l’adoption d’une nouvelle loi afin de donner la résidence permanente à 6% des Haïtiens concernés par cette mesure en sol américain.

Plusieurs élus de la Floride, où vivent plus de la moitié des Haïtiens détenteurs du statut temporaire, ont dénoncé la fin du programme décrétée par Washington, en novembre. « Il n’y a aucune raison de renvoyer 60 000 Haïtiens dans un pays qui ne peut pas les accueillir», avait affirmé le sénateur démocrate Bill Nelson sur Twitter.

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