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Le pape accuse les victimes chiliennes d’un prêtre pédophile de salissage

Pope Francis waves from the balcony of the Apostolic Nunciature in Lima, Peru, Friday, Jan. 19, 2018. Francis is expected to meet with several thousand indigenous people gathering in a coliseum in Puerto Maldonado, the city considered a gateway to the Amazon, in the first full day of the pontiff's visit to Peru. (AP Photo/Martin Mejia) Photo: AP

SANTIAGO, Chili — Le pape François a accusé jeudi les victimes d’un prêtre pédophile chilien de salissage, ajoutant un point d’exclamation estomaquant à une visite pendant laquelle il avait pourtant tenté de panser les plaies d’un scandale sexuel qui a coûté à l’Église catholique sa crédibilité au Chili.

Le pape a dit qu’en l’absence de preuves, les allégations selon lesquelles l’évêque Juan Barros a fermé les yeux sur les agressions du père Fernando Karadima ne sont que des «calomnies».

La réaction des Chiliens, des victimes et de leurs alliés n’a pas tardé. Ils ont rappelé que les victimes ont été suffisamment crédibles aux yeux du Vatican pour qu’il décide de condamner le père Kadima, en 2011, à une vie de «pénitence et de prière» pour ses crimes.

Une juge chilienne a elle aussi estimé que les victimes étaient crédibles, déclarant que les preuves des crimes du père Kadima étaient abondantes, mais qu’aucune accusation ne pouvait être portée contre lui en raison du temps écoulé.

«Comme si j’avais pu prendre (…) une photo pendant que Karadima nous agressait, moi et d’autres, et que Juan Barros était là à nous regarder, a lancé sur Twitter Juan Carlos Cruz, le plus virulent des accusateurs de monseigneur Barros. Ces gens sont complètement cinglés et le pape parle d’expiation pour les victimes. Rien n’a changé et sa demande de pardon est vide de sens.»

Le père Karadima était un prêtre charismatique proche du pouvoir. Ses victimes se sont exprimées publiquement en 2010, après avoir dénoncé pendant des années aux autorités religieuses que le père Karadima les embrassait et les caressait quand elles étaient adolescentes. Des allégations à son sujet circulaient depuis 2002.

L’évêque émérite de Santiago s’est éventuellement excusé de ne pas avoir cru les victimes dès le départ.

Plusieurs Chiliens n’ont pas encore pardonné au pape d’avoir ensuite nommé Juan Barros, un proche du père Karadima, comme évêque de la ville d’Osomo, dans le sud du pays. L’évêque Barros nie avoir été au fait des agissements du père Karadima, mais des doutes subsistent. Les victimes du père Karadima affirment que monseigneur Barros a tout vu, mais qu’il n’a rien fait.

Sa nomination a profondément divisé le diocèse d’Osomo et miné encore plus la crédibilité de l’Église au Chili.

Le pape avait tenté de panser les plaies cette semaine en rencontrant les victimes et en leur demandant pardon pour les crimes dont elles ont été victimes aux mains de l’Église. Mais jeudi, il a répondu sur un ton entièrement différent quand un journaliste chilien l’a interrogé au sujet de monseigneur Barros.

«Je parlerai la journée où on m’amènera des preuves contre l’évêque Barros, a-t-il dit. Il n’y a pas une seule bribe de preuves contre lui. Ce ne sont que des calomnies. Est-ce que c’est clair?»

Ce n’était pas la première fois que le pape défendait la nomination de l’évêque Barros. Il a déjà dit que la controverse d’Osomo est «stupide» et l’oeuvre de gauchistes.

L’Associated Press écrivait la semaine dernière que le Vatican était si préoccupé par l’affaire Karadima qu’il avait l’intention, en 2014, de demander à monseigneur Barros et à deux autres évêques formés par le père Karadima de prendre une année sabbatique. Ce plan aurait toutefois été abandonné et le pape est allé de l’avant avec la nomination de monseigneur Barros.

Le porte-parole d’un groupe de laïcs catholiques d’Osomo qui tente depuis trois ans d’évincer monseigneur Barros se demande pourquoi le Vatican doute aujourd’hui de la crédibilité des victimes, quand il était prêt à chasser monseigneur Barros en 2014.

«Est-ce que le problèmes pastoral que nous vivons à (Osomo) n’est pas suffisant pour qu’on se débarrasse de lui?», a demandé Juan Carlos Claret, en référence au fait que plusieurs catholiques et prêtres d’Osomo refusent de reconnaître la légitimité de l’évêque Barros, ce qui l’empêche de faire son travail.

Anne Barrett Doyle, du site BishopAccountability.org, estime qu’il est «triste et mal» de voir le pape discréditer les victimes puisque «le fardeau de la preuve appartient à l’Église, pas aux victimes — et certainement pas aux victimes dont la véracité a été démontrée».

«Il vient de reculer l’horloge jusqu’aux jours les plus sombres de cette crise, a-t-elle dit par voie de communiqué. Combien de victimes décideront maintenant de se taire par crainte de ne pas être crues?»

Ce n’est pas la première fois que l’Église accuse les victimes de mensonges et de salissage, mais avant les propos du pape jeudi, plusieurs dirigeants du Vatican commençaient finalement à accepter le fait que les victimes disent habituellement la vérité.

Le politologue Patricio Navia a dit que plusieurs Chiliens appréciaient que le pape soit allé plus loin que n’importe quel évêque chilien pour reconnaître l’existence du scandale sexuel au sein de l’Église.

«Puis tout juste avant de partir, François se retourne et dit: ‘En passant, je ne pense pas que Barros est coupable. Montrez-moi des preuves’», a dit M. Navia, qui estime que le commentaire anéantira toute bonne volonté engrangée par le pape dans cette affaire.

Il ajoute que le scandale Karadima a complètement changé la perception qu’ont les Chiliens de l’Église.

«Dans une famille chilienne typique, les parents y pensent (maintenant) à deux fois avant d’envoyer leurs enfants à une école catholique parce qu’on ne sait jamais ce qui pourrait se produire», a-t-il dit.

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