Soutenez

Cent ans après 1918, la grippe nargue la science

Photo: Jim Barber/shutterstock.com

WASHINGTON — Les descriptions donnent froid dans le dos.

Des victimes en parfaite santé le matin mourraient le même soir. Les visages viraient au bleu pendant que les patients crachaient du sang. Les cadavres étaient plus nombreux que les cercueils.

Cent ans après une des épidémies les plus catastrophiques de l’histoire, les scientifiques réévaluent leurs stratégies pour empêcher une nouvelle super grippe comme celle de 1918 de balayer la planète, faisant des dizaines de millions de morts.

Il est impossible de prédire quelle souche d’un virus passé maître dans l’art de la métamorphose provoquera la prochaine pandémie ou si la médecine moderne sera alors en mesure de limiter les dégâts. Les chercheurs ont toutefois confiance de pouvoir bientôt compter sur des vaccins plus efficaces pour se protéger de la simple grippe hivernale ou d’une éventuelle pandémie.

«Il faut faire mieux et par mieux, on entend un vaccin universel contre la grippe. Un vaccin qui vous protégerait essentiellement contre toutes, ou la plupart, des souches de grippe», a dit le docteur Anthony Fauci, des Instituts nationaux de la santé (NIH).

Les laboratoires américains cherchent ce super vaccin qui remplacerait la vaccination annuelle par une seule injection tous les cinq ou dix ans — ou, possiblement, une vaccination à l’enfance bonne pour le reste de vos jours.

Le docteur Fauci a annoncé que le développement d’un vaccin universel contre la grippe serait la priorité de l’Institut des allergies et des maladies infectieuses, qui dépend des NIH. Il a rassemblé plus de 150 experts l’été dernier pour tracer la voie à suivre. Quelques candidats font l’objet de premiers essais cliniques.

Ça reste un défi de taille. Même après un siècle de recherches scientifiques, la capacité du virus de la grippe à constamment se réinventer lui permet encore et toujours de contourner nos meilleures défenses.

Au nombre des nouvelles stratégies: les chercheurs dissèquent le camouflage qui permet à la grippe d’échapper au système immunitaire, identifiant les rares éléments qui ne changent pas d’année en année, de souche en souche.

«Nous avons réalisé des progrès considérables pour comprendre comment mieux nous protéger. Maintenant il faut que ça porte fruit», a expliqué Ian Wilson, un spécialiste de la grippe à l’Institut de recherche Scripps de La Jolla, en Californie.

Le triste anniversaire du centenaire de la pandémie de 1918 met le tout en lumière.

Aucun vaccin contre la grippe n’existait à ce moment et le premier n’arriverait que des décennies plus tard. La vaccination est la meilleure protection aujourd’hui, mais même dans les meilleurs scénarios, le vaccin saisonnier n’est efficace qu’à 60%. La protection a plongé à 19% il y a quelques années quand l’évolution du virus a déjoué la science.

Quand une souche complètement nouvelle apparaît, il faut des mois avant de disposer d’un vaccin. Les premières doses sont arrivées trop tard quand cela s’est produit pour la dernière fois, en 2009; heureusement, la pandémie a alors été modeste.

À défaut d’une meilleure option, le docteur Fauci dit que les États-Unis s’intéressent maintenant aux souches animales de la grippe qui pourraient éventuellement faire le saut chez l’humain. La menace la plus pressante aujourd’hui est celle d’une grippe aviaire qui a infecté plus de 1500 personnes en Chine depuis 2013. Une mutation survenue l’an dernier a rendu obsolètes des millions de doses d’un vaccin stockées aux États-Unis.

La mère de toutes les pandémies

Le docteur Jeffery Taubenberger, des NIH, estime que la pandémie de 1918 était la mère de toutes les pandémies, et il est bien placé pour le savoir.

Alors pathologiste pour l’armée américaine, il a dirigé l’équipe qui a identifié et reconstitué le virus disparu de 1918 à partir d’éléments génétiques trouvés dans les résultats d’autopsies de soldats de la Première Guerre mondiale et dans une victime enterrée dans le pergélisol de l’Alaska.

Ce qu’on a alors appelé (incorrectement) la grippe espagnole a transformé la planète en «zone d’abattage», selon l’auteur John M. Barry. Les historiens croient que la pandémie a éclaté au Kansas au début de 1918. À l’hiver 1919, le virus avait infecté le tiers de l’humanité et tué au moins 50 millions de personnes. En comparaison, le sida a fait 35 millions de morts en 40 ans.

Trois autres pandémies de grippe ont déferlé depuis cette époque: en 1957, en 1968 et en 2009. Elles se sont répandues largement, mais n’ont pas été aussi mortelles. Les recherches du docteur Taubenberger démontrent que les trois dernières pandémies ont été causées par des virus transportés par les oiseaux ou les porcs, et auxquels se sont greffés des éléments génétiques du virus de 1918.

«Cette ligne du temps sur cent ans montre comment nous nous sommes adaptés au virus et comment il s’est adapté à nous, a dit le docteur Barney Graham, le directeur adjoint du Centre de recherches sur les vaccins des NIH. Ça nous enseigne qu’on ne peut pas continuer à inventer des vaccins en nous inspirant du passé.»

La quête d’un nouveau vaccin

Tout commence avec deux protéines, l’hémagglutinine et la neuraminidase, qui recouvrent la surface du virus. Le «H» permet au virus de s’accrocher aux cellules respiratoires et de les infecter; le «N» permet ensuite au virus de se propager.

Ces lettres forment aussi le nom des virus de la grippe de souche A, la famille la plus dangereuse. Avec 18 variétés d’hémagglutinine et 11 de neuraminidase, les combinaisons sont multiples. La pandémie de 1918 a été causée par la souche H1N1, et des variantes plus faibles du H1N1 circulent toujours. Cet hiver, la souche H3N2, une descendante de la pandémie de 1968, est celle qui incommode le plus de gens.

Les chercheurs ont découvert en 2009 que les cellules immunitaires attaquent parfois, et en faible nombre, des portions de l’hémagglutinine qui ne subissent aucune mutation. Ces anticorps étaient aussi capables de bloquer différentes souches de la grippe, a dit le docteur Wilson.

Les scientifiques essaient maintenant de stimuler la production de ces anticorps. Au Centre de recherches sur les vaccins, on essaie d’entraîner le système immunitaire à reconnaître et attaquer ces portions immuables en les jumelant à des nanoparticules qu’il identifie aisément. À New York, les chercheurs de la faculté de médecine Icahn de Mount Sinai modifient l’hémagglutinine pour attirer l’attention du système immunitaire.

L’équipe du docteur Wilson tente aussi de développer une version orale des anticorps antigrippe. «Si une pandémie éclate et qu’il n’y a pas assez de temps pour développer un vaccin, on voudra bloquer l’infection si c’est possible», explique-t-il.

L’approche du docteur Tautenberger est complètement différente: il combine des éléments provenant de quatre hémagglutinines pour obtenir une réaction immunitaire face aux souches similaires.

Des mystères insolubles

Certains mystères interfèrent toujours avec la recherche.

Les chercheurs pensent maintenant que la réaction d’un individu au vaccin est influencée par son exposition antérieure au virus de la grippe. «On identifie peut-être le mieux la première grippe à laquelle on est exposé», explique l’immunologiste Adrian McDermott, des NIH.

Une fois exposé à cette première souche de la grippe, le système immunitaire réagirait peut-être moins efficacement en présence des autres souches.

«Dans notre domaine on croit ultimement que le meilleur vaccin universel contre la grippe fonctionnera le mieux si on l’administre à un enfant», a dit le docteur Fauci.

Malgré tout, personne ne connaît l’origine exacte de la grippe qui a terrifié la planète en 1918; on sait seulement qu’une hémagglutinine de type aviaire l’a rendue aussi mortelle.

Ce virus chinois de la grippe aviaire H7N9 «m’inquiète beaucoup», confie le docteur Tautenberger.

«Pour un virus comme celui de la grippe qui est un maître de l’adaptation et de la mutation et de l’évolution face à de nouvelles circonstances, il est d’une importance cruciale de comprendre comment tout ça se produit dans la nature. Comment est-ce qu’un virus aviaire s’adapte à un mammifère?», demande-t-il.

Pendant que les chercheurs pourchassent ces réponses, «il serait ridicule» d’essayer de prédire à quoi ressemblera la prochaine pandémie. «Il faut seulement être prêts», a dit le docteur Fauci.

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.