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Un puissant banquier européen accusé de corruption

The Associated Press Photo:

LONDRES — Le plus haut dirigeant bancaire de la Lettonie avait déterminé les règles à suivre pour des affaires bancaires réussies dans ce petit pays européen.

Son bras droit a donc pris à part le propriétaire de la banque Norvik et écrit un montant sur un morceau de papier: 100 000 euros par mois.

Une plainte internationale déposée par cette banque lettone prétend qu’un «important dirigeant letton» a fréquemment tenté d’extorquer «des pots-de-vin en liquide», et qu’il s’est vengé quand les propriétaires ont refusé de payer. Le document de 39 pages déposé devant un organisme arbitral de la Banque mondiale tait l’identité de ce dirigeant.

Des patrons de la banque Norviks ont toutefois confié à l’Associated Press qu’il s’agit d’Ilmars Rimsevics.

M. Rimsevics est le gouverneur de la banque centrale de Lettonie et un membre influent de la Banque centrale européenne. Il a été arrêté samedi, dans le cadre d’allégations de corruption et de blanchiment d’argent dont les ramifications s’étirent jusqu’en Russie. Lundi, l’agence anticorruption lettone a affirmé qu’elle soupçonnait M. Rimsevics «d’avoir demandé un pot-de-vin important» et qu’il faisait maintenant l’objet d’une enquête criminelle.

M. Rimsevics a été épinglé samedi lorsqu’il s’est présenté aux bureaux de l’agence anticorruption pour répondre aux questions des enquêteurs. L’interrogatoire s’est poursuivi pendant huit heures, jusqu’à tard dans la nuit, a déclaré son avocat à la télévision officielle. Son bureau et une de ses propriétés ont aussi été perquisitionnés. Il a été libéré sous caution lundi et nie toutes les allégations de corruption qui le visent.

L’éventualité d’accusations criminelles contre celui qui supervise le secteur bancaire letton depuis 1992, dans la foulée de l’effondrement soviétique, plonge ce petit pays balte dans la tourmente.

La détention de M. Rimsevics est d’autant plus explosive qu’il est membre du conseil de direction de la Banque centrale européenne (BCE), la plus puissante des institutions financières européennes. Il connaît aussi les secrets les plus délicats de la Lettonie, de l’OTAN et de l’Union européenne.

Le président de la Lettonie rencontrera son conseil de sécurité nationale cette semaine pour discuter du dossier. La Banque de Lettonie et la BCE ont refusé de commenter l’arrestation de M. Rimsevics.

Une triste réputation

La Lettonie traîne une triste réputation dans le domaine du blanchiment d’argent depuis le scandale Magnitsky, lors duquel 230 millions $ US en fonds publics russes se sont volatilisés, essentiellement par le biais des banques lettones, selon des dirigeants lettons et européens. Le lanceur d’alerte Sergeï Magnitsky a été incarcéré en Russie en 2008, et les mauvais traitements qui lui auraient ensuite été infligés auraient mené à sa mort. L’Union européenne et les États-Unis ont imposé des sanctions à des ressortissants russes dans cette affaire.

Des documents dévoilés en 2014 — ce qu’on a appelé les rapports «Laundromat» — ont ensuite expliqué comment 20 milliards $ US étaient sortis de la Russie, en passant par la Lettonie, de 2010 à 2014.

Les principales banques de la planète ont cessé toute transaction avec les banques lettones quand les documents Laudromat ont montré que «l’argent sale» avait rejoint des firmes comme la Deutsche Bank en passant par des banques lettones. La semaine dernière, le Trésor américain a dénoncé le «blanchiment d’argent institutionnalisé» qui prévaut au sein d’ABLV, la plus grande banque de Lettonie.

Tout ceci s’est produit pendant que M. Rimsevics gardait le fort.

Les accusations d’extorsion lancées par la banque Norvik frappent donc en plein coeur du pouvoir en Lettonie et à la BCE.

Le chef de la direction de Norvik, Oliver Bramwell, et son actionnaire principal et président du conseil d’administration, Grigori Guselnikov, ont tous deux confirmé à l’Associated Press que leur plainte visait M. Rimsevics.

Selon M. Guselnikov, M. Rimsevics réclamait régulièrement des pots-de-vin par le biais d’un intermédiaire depuis 2015, menaçant la banque de règles plus strictes si elle refusait de payer. Il s’agissait, lui aurait-on dit, des «règles du jeu» en Lettonie.

M. Guselnikov a raconté à l’Associated Press avoir rencontré M. Rimsevics et son lieutenant Renars Kokins à plusieurs reprises à compter de 2015. Lors de chaque rencontre, a-t-il dit, on lui réclamait un pot-de-vin de 100 000 euros par mois, en lui expliquant que toutes les banques lettones «collaboraient» de cette manière. Les mesures punitives ont commencé quand il a refusé de payer: les responsables augmentaient soudainement la quantité de liquide dont devait disposer la banque, ce qui la contraignait à réduire la valeur de ses actifs.

M. Guselnikov a dit que M. Rimsevics prenait grand soin de ne jamais être vu lors de ces rencontres. À une occasion, il est monté à bord d’une voiture dans laquelle M. Guselnikov patientait et s’est assis derrière lui pendant quelques minutes.

«Ça a été un cauchemar pour moi pendant des années, a dit l’homme qui a aujourd’hui 41 ans. On ne comprend plus comment sortir de cet environnement sale sans endommager sa réputation. C’est pourquoi j’ai décidé de me défendre publiquement et légalement. Je peux perdre la banque et mon argent, mais je ne collaborerai jamais.»

M. Guselnikov a ajouté que M. Kokins n’avait pas seulement demandé un pot-de-vin à Novik: il voulait aussi que la banque blanchisse de l’argent. Il aurait ainsi suggéré que la banque ferme les yeux sur un transfert de 100 millions $ US qui arrivait de Russie, et qu’elle empoche une commission de 1 million $ en compensation.

Le transfert aurait été orchestré par German Miloush, un fugitif international qui est aussi un partenaire d’affaires de M. Kokins.

Peu après l’incarcération de M. Magnitsky, la banque lettone Parex a autorisé un prêt de 100 millions $ US aux frères russes Zhan et Eduard Khudainatov, qui sont respectivement patrons des firmes Severneft et Rosneft. Les frères n’ont pas été en mesure de faire un paiement de 78 millions $ US sur ce prêt, même s’ils avaient vendu des actifs d’une valeur de 403 millions $ US.

Ce mauvais prêt et d’autres ont poussé Parex à la faillite. L’État letton a été contraint de sauver la banque à un coût d’un milliard de dollars, une somme colossale pour un pays de cette taille. La crise financière qui a ensuite frappé le pays a vu la dette nationale être multipliée par six, a nécessité l’intervention du Fonds monétaire international et a vu un dixième de la population émigrer.

Un ancien employé de Parex, John Christmas, assure qu’il a informé M. Rimsevics dès 2005 des pratiques douteuses et possiblement illégales de la banque.

«Ils n’ont jamais voulu me parler», a-t-il dit. Il prétend qu’il a plutôt commencé à recevoir des menaces de mort à ce moment.

«La Lettonie ne combat pas le blanchiment d’argent, a ajouté M. Christmas. La Lettonie fait le contraire, elle lutte pour protéger les blanchisseurs d’argent.»

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