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Vladimir Poutine: Chronique d’une victoire annoncée

Russian President Vladimir Putin walks as he attends a wreath laying ceremony at the eternal flame of the Mamayev Kurgan memorial complex in the city of Volgograd during an event to commemorate the 75th anniversary of the battle of Stalingrad on February 2, 2018. Russia marked 75 years since the Soviet Union's victory in the major World War II Battle of Stalingrad, extolled as a symbol of the country's resilience at a time when Putin campaigns for his fourth term. / AFP PHOTO / POOL / MAXIM SHEMETOV Photo: AFP

Vladimir Poutine sollicitera dimanche un quatrième mandat à la présidence de la Russie. Avec un taux d’approbation frôlant les 80% et une opposition muselée, sa victoire ne fait guère de doute. Si l’Occident le craint et déplore ses méthodes belliqueuses, Poutine est pour une bonne partie des Russes l’homme providentiel, celui qui a redonné à la mère patrie sa grandeur.

Les Russes retrouveront sur leur bulletin de vote huit noms. Aux côtés de Vladimir Poutine, sept candidats, qui forment une opposition morcelée.

«Poutine est devenu un leader sans alternative, estime Tatiana Stanovaya, politologue russe basée à Paris. Il a investi beaucoup d’efforts dans la construction d’un pouvoir vertical, mobilisant toutes les forces politiques autour de lui.»

Du communiste Pavel Groudinine à la libérale Ksenia Sobtchak, obtenir plus de 15% des voix relèverait pour eux de l’exploit. La tenue d’un second tour, nécessaire si le meneur n’obtient pas une majorité absolue, serait en soi une grande surprise.

«Il a neutralisé la vraie opposition et créé les conditions pour que l’opposition modérée devienne son partenaire», énonce Mme Stanovaya.

«Le peuple soutient vraiment Poutine et sa politique, mais il n’a pas vraiment d’autre option.» – Tatiana Stanovaya, analyste politique
et membre du conseil scientifique de l’Observatoire franco-russe.

«Une chose distingue l’opposition acceptable pour le Kremlin de l’opposition hors système: la possibilité de critiquer Poutine personnellement. Il est impensable pour l’opposition «officielle» de le faire».

L’avocat Alexeï Navalny, seul opposant capable de mobiliser les foules et de réellement défier Poutine, l’a appris à ses dépens.

Créateur de la Fondation de lutte contre la corruption, ce virulent détracteur du régime n’a pas été autorisé à se présenter en raison d’une condamnation pour détournement de fonds, une accusation qu’il estime monter de toutes pièces.

S’il avait pu se présenter, Navalny, particulièrement populaire auprès des jeunes et dans les villes, aurait pu récolter aux alentours de «30% des suffrages et peut-être forcé la tenue d’un second tour, ce qui ne s’est jamais vu sous Poutine», estime Jacques Lévesque, professeur émérite au Département de science politique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Sa présence n’aurait cependant pas été suffisante pour empêcher le natif de Saint-Pétersbourg de voguer vers un autre mandat, qui prendra fin en 2024.

Les sondages donnent régulièrement des taux d’appui de l’ordre de 80% au président Poutine. Lors de l’intervention russe en Crimée en 2014, ce chiffre a gonflé jusqu’à 90%.

«Même si la validité des chiffres peut parfois être questionnée, on ne peut pas remettre en question le fait qu’il jouit d’un appui populaire réel et véritable», assure Pierre Jolicœur, spécialiste de la Russie au Collège militaire royal du Canada.

«Pour le Russe moyen, Poutine apparaît comme un faiseur de miracles, tout simplement, compte tenu de la catastrophe économique qu’ils ont vécue pendant 10 ans», ajoute Jacques Lévesque.

«Les Russes ont vécu un véritable traumatisme après la chute de l’URSS, explique M. Lévesque, qui suit les destinées de la Russie depuis l’époque soviétique. Le PIB a fondu de 50% de 1992 à 2000, on a assisté à une destruction économique jamais vue en temps de paix qui a plongé les deux tiers de la population sous le seuil de la pauvreté. L’espérance de vie a diminué, alors que la criminalité a monté en flèche.»

«L’usure du pouvoir, qui normalement amène n’importe quel chef d’État vers le bas après un certain nombre d’années, ne semble pas avoir de prise sur Poutine.» – Pierre Jolicoœur, professeur de science politique au Collège militaire royal du Canada.

La décision de Poutine de renationaliser l’industrie pétrolière et gazière aux débuts des années 2000 a insufflé une prospérité nouvelle au pays après une décennie extrêmement pénible.

«Poutine a réussi à stabiliser la situation sociale en Russie, à assurer la croissance de l’économie et à créer un sentiment de fierté chez les Russes», résume Tatiana Stanovaya.

Si l’économie tourne un peu moins rondement récemment en raison de la chute des prix du pétrole, le président Poutine a aussi une carte très forte dans son jeu: le nationalisme russe.

Il a d’ailleurs utilisé cet atout au début du mois de mars lors de son adresse annuelle au Parlement russe. Seul sur scène devant les députés et les sénateurs, il a présenté dans une mise en scène élaborée le nouvel arsenal russe: missiles hypersoniques, drones sous-marins à propulsion nucléaire et fusées intercontinentales.

«Personne ne voulait nous parler, personne ne voulait nous écouter. Écoutez-nous maintenant!» a-t-il tonné. «À ceux qui ont tenté au cours des 15 dernières années (…) de profiter de la Russie, qui ont instauré des sanctions internationales illégales pour enrayer le développement de notre pays, y compris dans le domaine militaire, je vais le dire : ce que vous avez entrepris pour gêner, empêcher, entraver la Russie n’a pas réussi», a-t-il poursuivi.

Ce message s’adressait non seulement à ses interlocuteurs sur la scène internationale, mais aussi à son électorat.

«Ses discours sur la politique étrangère, sa volonté de redonner sa grandeur à la Russie semblent être beaucoup plus vendeurs au près des électeurs que les questions intérieures et ses propositions pour régler les problèmes du pays», observe Pierre Jolicœur.

«Plusieurs Russes considèrent que les Occidentaux ont profité de la faiblesse de la Russie et continuent d’essayer d’en profiter. Des initiatives comme l’élargissement de l’OTAN et de l’Union européenne aux frontières russes sont perçues comme des agressions. Si Poutine tient un discours belliqueux, c’est pour s’affirmer sur la scène internationale et stopper l’effritement de la capacité de la Russie à intervenir sur la scène internationale. Du point de vue russe, c’est une défense, une réaction à une agression occidentale.»

Ce genre de démonstration de force ne fait qu’ajouter à la popularité de Vladimir Poutine.

En fait, sa popularité est tellement forte que ce n’est pas tant le pourcentage de votes en sa faveur qui importera dimanche, mais plutôt le taux de participation à l’élection.

«Si le taux de participation tombe en bas de 60%, ce serait pour lui un revers, expose Jacques Lévesque. Il perdrait la face, puisque ça aurait l’air d’une baisse de sa légitimité. D’autant plus qu’avec une opposition muselée, l’abstention est le principal moyen d’opposition.»

Imprévisible Poutine

Depuis quelques années, la politique extérieure de la Russie donne des cheveux blancs à bien des dirigeants occidentaux.

Attaques informatiques, ingérence dans le processus démocratique d’autres États et assassinats ciblés: le pouvoir russe semble prêt à tout pour arriver à ses fins. «Il y a une part de vérité et une part d’exagération dans tout ce dont on accuse la Russie, tempère Pierre Jolicoeur. Il est vrai que le pays s’est doté d’une capacité d’influence très importante et mène ce genre d’opération, qui vise à discréditer les régimes démocratiques occidentaux en semant le chaos. Mais si Vladimir Poutine était capable de faire tout ce qu’on lui prête comme gestes, il serait le maître du monde.»

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