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Wall Street se mêle du débat sur les armes à feu aux États-Unis

Photo: Richard Drew/AP
Marley Jay - The Associated Press

NEW YORK — Certains poids lourds de Wall Street ont décidé de se mêler du débat sur le contrôle des armes à feu aux États-Unis, et des firmes de placement demandent aux fabricants d’armes ce qu’ils comptent faire pour freiner la violence.

Ces firmes parlent tout doucement, mais les milliards et milliards de dollars en actions qu’elles contrôlent décuplent la portée de leur voix. Elles ont maintenant décidé de joindre leurs forces à des alliés quelque peu surprenants, y compris des investisseurs traditionnels ou de moindre importance.

BlackRock, qui détient des participations importantes dans trois fabricants d’armes différents, milite ainsi aux côtés de religieuses.

Soeur Judith Byron, la coordonnatrice de la Coalition du nord-ouest pour l’investissement responsable, explique que son organisation et BlackRock semblent avoir des objectifs similaires en ce qui concerne les fabricants d’armes et les détaillants. Après le massacre de 17 personnes dans une école secondaire de Parkland, en Floride, le mois dernier, des fonds comme BlackRock ont commencé à demander aux fabricants d’armes ce qu’ils font pour contrer la violence par les armes et aux détaillants combien leur rapportent les ventes d’armes.

Soeur Byron dit que son groupe — une coalition de communautés religieuses et d’intervenants du réseau de santé — a investi dans les fabricants d’armes il y a dix ans et qu’il milite depuis des années en faveur d’une plus grande sécurité. Au cours des derniers mois, la coalition a présenté des résolutions qui ont poussé des compagnies comme American Outdoors Brand, Sturm Ruger et Dick’s Sporting Goods à expliquer à leurs investisseurs ce qu’elles font pour combattre le problème.

«Nous espérons pouvoir dialoguer avec ces grands investisseurs et les encourager à voter pour nos résolutions», a-t-elle dit.

Certains de ces grands investisseurs sont déjà d’accord. Le plus important régime public de retraite des États-Unis, CalPERS, a récemment refusé de vendre sa participation dans les entreprises qui vendent des fusils d’assaut. En les conservant, a-t-il dit, il a réussi à inciter ces compagnies à apporter des changements positifs.

Les nonnes ne sont pas des manifestantes et elles ne perturbent pas les assemblées d’actionnaires en agitant des pancartes, même si elles collaborent parfois avec des groupes qui ont recours à de telles tactiques. Soeur Byron affirme que certaines assemblées auxquelles elle a assisté ont été carrément plaisantes, quand les investisseurs et les membres du conseil d’administration l’ont remerciée pour ses questions.

L’appui des firmes de placement a permis à la coalition de remporter une victoire éclatante l’an dernier quand, au terme de décennies d’efforts, elle a réussi à faire adopter une résolution qui contraignait le géant des hydrocarbures ExxonMobil à dévoiler publiquement l’impact de ses activités sur les changements climatiques.

Participations influentes
Erik Gordon, de l’Université du Michigan, rappelle que les grandes compagnies hésitent souvent à poser des gestes responsables si cela risque de faire mal à leurs ventes.

«BlackRock ne s’est pas réveillée un matin en disant, ‘Nous allons adopter une approche différente à nos investissements, c’est la bonne chose à faire’, ironise-t-il. C’est une réaction aux militants.»

Le but premier de firmes comme BlackRock, State Street et Vanguard est de générer autant d’argent que possible pour leurs clients. Mais parce qu’elles contrôlent des participations aussi importantes, elles sont très influentes: elles peuvent épauler des candidats au conseil d’administration qui veulent modifier la trajectoire d’une compagnie et appuyer des résolutions qui changent sa façon de faire.

BlackRock détient des participations importantes dans les fabricants d’armes Storm Ruger, American Outdoors Brand et Vista Outdoors Brand. Environ une semaine après la fusillade de Parkland, BlackRock a annoncé qu’elle voulait parler aux trois compagnies au sujet de leurs réponses à la tragédie.

La firme a révélé qu’elle explorait la création d’un nouveau fonds à l’intention des investisseurs qui souhaitent éviter les fabricants et les détaillants d’armes. Si plusieurs firmes et investisseurs font de même, la valeur de ces titres sera haussée.

Dans une lettre envoyée à BlackRock, American Outdoors Brand assure qu’elle est favorable aux mesures qui favorisent la sécurité et qui protègent les droits des propriétaires d’armes. La compagnie précise qu’elle est favorable à une meilleure vérification des antécédents et à de meilleurs soins pour les gens qui ont des problèmes de santé mentale, mais qu’elle s’oppose «aux gestes motivés par la politique» qui ne feront rien pour rehausser la sécurité du public.

Sturm Ruger n’a pas immédiatement répondu à une demande de commentaires.

En d’autres mots, la puissance des firmes de placement n’est pas infinie. Elles n’ont aucune intention de renoncer à leurs participations dans les fabricants d’armes, peu importe ce qu’elles puissent en dire. Leur stratégie est d’investir dans de multiples compagnies, y compris toutes celles qui font partie de l’indice Standard & Poor 500.

Selon Todd Rosenbluth, un directeur de la firme d’analyse CFRA, cela veut dire que BlackRock et les autres ont moins de pouvoir que les investisseurs militants ou que les fonds spéculatifs. Ces investisseurs peuvent avoir un impact plus grand en achetant des actions, en se faisant élire au conseil d’administration ou en menaçant de liquider leur participation s’ils ne sont pas d’accord.

«Ils peuvent utiliser leur portefeuille et vendre leurs actions ou ils peuvent faire pression sur les compagnies ou les menacer de vendre leurs actions si rien n’est fait», explique M. Rosenbluth. À ce jour, dit-il, ces investisseurs ont choisi de se tenir loin du débat.

Il y a quand même eu des changements: Dick’s, Walmart, Kroger et L.L. Bean ont tous mis fin à la vente d’armes aux clients âgés de moins de 21 ans. M. Rosenbluth y voit davantage une réaction au débat national sur la sécurité qu’une réponse aux demandes des investisseurs, et il croit qu’ultimement, les lois auront le plus grand impact.

Mais soeur Byron, qui souhaite elle aussi de nouvelles lois sur les armes, est encouragée par la réponse de l’Amérique corporative.

«Nous voyons des compagnies qui prennent la tête dans des dossiers environnementaux et sociaux, ce qui est encourageant», a-t-elle dit, avant d’ajouter qu’en tant qu’actionnaires, «ce sont nos compagnies. Nous en sommes les propriétaires.»

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