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L’extrême-droite infiltre le centre de l’Europe

A woman holds a placard with a photo of Hungarian Prime Minister Viktor Orban as demonstrators protest against the amendment of the higher education law seen by many as an action aiming at the closure of the Central European University, founded by Hungarian born American billionaire businessman George Soros, outside the university's central building in Budapest, Hungary, Tuesday, April 4, 2017. (Zoltan Balogh/MTI via AP) Photo: The Associated Press
Vanessa Gera et Dusan Stojanovic - The Associated Press

ZAGREB, Croatie — Le premier ministre de la Pologne a déclaré que les Juifs ont participé à leur propre destruction pendant l’Holocauste.

Son homologue hongrois a estimé que la «couleur» des Européens ne devrait pas se mêler à celle des Africains et des Arabes.

Le président de la Croatie a remercié l’Argentine pour avoir accueilli des criminels de guerre nazis bien connus après la Deuxième Guerre mondiale.

Depuis la fin de la guerre, de telles positions étaient confinées à l’extrême-droite européenne. Mais aujourd’hui, elles sont librement reprises et exprimées par des politiciens «normaux» du centre et de l’est de l’Europe, dans le cadre d’une poussée populiste qui a vu le jour en réaction à la globalisation et aux migrations de masse.

«Il y a quelque chose de plus profond qui se produit dans la société et qui donne naissance à un discours patriotique, nativiste et conservateur, où les idées de l’extrême-droite sont devenues plus normales», a dit l’historien Tom Junes, de la Fondation des études humaines et sociales de Sofia, en Bulgarie.

En plusieurs endroits, la dérive vers la droite inclut la réhabilitation des collaborateurs nazis, souvent des combattants ou des groupes qui sont maintenant fêtés pour avoir combattu les communistes ou défendu la libération nationale. Les gouvernements de la Hongrie et de la Pologne minent aussi l’indépendance des tribunaux et des médias, au point où des groupes de défense des droits de la personne s’inquiètent pour la démocratie dans des régions qui sont pourtant débarrassées du joug soviétique en 1989.

Des analystes soupçonnent Moscou d’aider en douce les groupes extrémistes afin de déstabiliser les démocraties occidentales libérales. Si cela est difficile à prouver, il est évident que la poussée des groupes radicaux incite les partis conservateurs modérés à virer à droite pour garder leurs votes.

C’est ce qui se produit en Hongrie, où le premier ministre Viktor Orban et son parti Fidesz — qui arrive en tête des sondages en vue du scrutin du 8 avril — ont séduit les électeurs avec une campagne anti-immigrants sans cesse plus virulente.

Se présentant comme le champion d’une Europe chrétienne blanche submergée par des hordes africaines et musulmanes, M. Orban maintient que les Hongrois ne veulent pas que «leur couleur, leurs traditions et leur culture nationale se mélangent à celles des autres».

M. Orban, qui entretient de bonnes relations avec le président russe Vladimir Poutine, a aussi été le premier leader européen à appuyer Donald Trump lors de la présidentielle américaine de 2016. En 2015, il a déroulé des barbelés à lames pour empêcher les migrants d’entrer en Hongrie; il multiplie depuis les avertissements apocalyptiques que l’Occident perdra sa culture et sa civilisation si la migration continue.

M. Orban fait aussi une obsession de la diabolisation du philanthrope hongrois George Soros, présentant faussement ce survivant de l’Holocauste comme un partisan d’une immigration sans contraintes en Europe. Le site d’enquêtes atlatszo.hu a calculé que le gouvernement hongrois a consacré 48,5 millions $ US à une campagne anti-Soros en 2017; plusieurs y ont vu une théorie du complot teintée d’antisémitisme.

Lors d’un discours récent, M. Orban a attaqué M. Soros avec un langage qui reprenait les clichés antisémites du 20e siècle. Il a ainsi déclaré que les ennemis de la Hongrie «ne croient pas au travail, mais ils spéculent avec de l’argent; ils n’ont pas de patrie, mais croient que le monde entier leur appartient».

Les propos xénophobes ont aussi la cote dans la Pologne voisine. Le chef du parti au pouvoir, Jaroslaw Kaczynski, a prétendu avant les élections de 2015 que les migrants étaient porteurs de «parasites». Quand les nationalistes ont organisé une gigantesque manifestation en novembre, à l’occasion du Jour de l’indépendance, le ministre de l’Intérieur a déclaré que c’était «magnifique» — même si certains agitaient des écriteaux réclamant une «Europe blanche» et du «Sang pur».

Le gouvernement polonais est également embourbé dans une querelle acrimonieuse avec Israël et des organisations juives concernant une loi qui criminaliserait toute critique de la Pologne pour les crimes commis par l’Allemagne pendant l’Holocauste.

Au plus fort des tensions en novembre, le premier ministre Mateusz Morawiecki a affirmé que des «coupables juifs» étaient notamment responsables de l’Holocauste. Il a également visité la tombe, à Munich, d’un groupe de résistants polonais qui ont collaboré avec les Nazis.

Dans un même ordre d’idées, le responsable de la création d’un nouveau musée d’histoire a déclaré que les procès de Nuremberg — où des dirigeants nazis ont été jugés — avaient été «la plus grande farce judiciaire de l’histoire de l’Europe». Arkadiusz Karbowiak a ajouté que ces procès ont été rendus «possibles seulement grâce au rôle important joué par les Juifs» dans leur organisation.

Ces procès, a-t-il dit, sont «l’endroit où la religion de l’Holocauste est née».

À travers la région, les Roms, les musulmans, les Juifs et d’autres minorités s’inquiètent grandement de leur avenir. Les nationalistes assurent toutefois qu’ils ne font pas la promotion de la haine: ils prétendent plutôt défendre leur souveraineté nationale et leur mode de vie chrétien face à la mondialisation et aux marées de migrants qui refusent de s’assimiler.

Les Balkans, théâtre d’un conflit ethnique sanglant dans les années 1990, voient aussi une poussée du nationalisme, surtout en Serbie et en Croatie. Les politologues soupçonnent la propagande russe d’attiser les vieilles tensions ethniques.

La Croatie dérive systématiquement à droite depuis qu’elle a rejoint l’Union européenne en 2013. Certains de ses dirigeants ont réfuté l’Holocauste ou réévalué le régime ultranationaliste et pronazi Ustasha, qui a exterminé des dizaines de milliers de Juifs, de Serbes, de Roms et de Croates antifascistes dans des camps pénitentiaires pendant la guerre.

Lors d’une récente visite en Argentine, la présidente croate Kolinda Grabar-Kitarovic a remercié le pays pour avoir accueilli des Croates membres du régime Ustasha après la guerre.

Le principal chasseur de Nazis de la planète, Efraim Zuroff du centre Wiesenthal, a estimé que ces propos étaient une «insulte horrible aux victimes». Mme Grabar-Kitarovic a plus tard prétendu ne pas avoir voulu louanger un régime totalitaire.

Pendant ce temps, la Bulgarie, qui occupe la présidence tournante de l’UE, est gouvernée par une alliance d’extrême-droite, les Patriotes unis, dont les membres lancent des saluts nazis et dénigrent les minorités.

Le vice-premier ministre Valeri Simeonov a qualifié les Roms d’«humanoïdes féroces» dont les femmes «ont les instincts de chiens dans la rue».

M. Junes dit que même si les crimes haineux sont en hausse en Bulgarie, le problème retient peu l’attention en Occident car le pays maîtrise ses finances et que, contrairement à la Pologne et la Hongrie, il ne joue pas au trouble-fête.

«La Bulgarie ne dérange personne, explique-t-il. Elle joue gentiment avec l’Europe.»

Si les groupes populistes et d’extrême-droite montent aussi en Europe de l’Ouest, des pays comme la Pologne et la Hongrie semblent plus susceptibles aux mêmes problèmes, a dit Peter Kreko, le directeur d’un groupe de recherche à Budapest.

«Dans des démocraties plus jeunes, plus faibles et plus fragiles, le populisme de droite est plus dangereux parce qu’il peut endommager et même démolir les institutions démocratiques», prévient-il.

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