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Quels sont les enjeux du sommet inter-coréen?

SÉOUL — Ce ne sera peut-être pas aussi flamboyant que les menaces de «furie et de feu» du président Donald Trump ou que la vantardise de Kim Jong-un au sujet de son «bouton nucléaire», mais les enjeux étaient quand même très élevés, vendredi, lors du sommet entre M. Kim et le président sud-coréen, Moon Jae-in.

Les deux leaders se sont rencontrés du côté sud de la frontière la plus fortifiée du monde.

Le dictateur nord-coréen ne renoncera peut-être jamais aux armes nucléaires qui sont, selon lui, sa seule garantie de survie. Mais si la Corée du Nord et les États-Unis doivent prendre un peu de recul face à ce qui semblait être un risque bien réel de conflit nucléaire il y a à peine quelques mois, alors ce sommet entre MM. Kim et Moon devra tout d’abord être couronné de succès.

Une éventuelle rencontre entre MM. Kim et Trump dépendra aussi de ce que les deux hommes auront à se dire vendredi.

Quels sont donc les enjeux? Qu’est-ce qui constituerait un succès?

Tout d’abord un progrès dans le dossier des armes nucléaires, même sans une «percée» spectaculaire. La Corée du Nord s’inquiète de la présence, en Corée du Sud, de quelque 30 000 soldats américains, et prétend que l’absence d’un traité de paix officiel mettant fin à la guerre de 1950-1953 justifie son programme d’armes nucléaires.

Voici comment nous en sommes arrivés là, ce que chaque camp recherche, et les chances d’en arriver à un accord concret.

Des menaces aux discussions
Le président sud-coréen Moon Jae-in, un libéral qui a fait ses classes politiques en développant la politique d’ouverture du précédent gouvernement libéral à l’endroit de Pyongyang, a pris le pouvoir l’an dernier en espérant réussir à améliorer les relations de son pays avec son voisin.

Il a plutôt eu droit aux pires crises de colère du Nord des dernières années, accompagnées de tirs de missiles et d’essais nucléaires, et il n’a donc eu d’autre choix que d’emboîter le pas à Washington quand les États-Unis ont décidé de hausser le ton.

Puis, en janvier, M. Kim a adopté un ton mielleux en déclarant que la Corée du Nord «a atteint l’objectif de compléter notre force nucléaire», ouvrant la porte à la diplomatie. Les analystes croient que les techniciens nord-coréens n’y sont pas encore tout à fait, mais la chose importante du point de vue de M. Moon était l’ouverture au dialogue.

M. Kim a envoyé sa soeur aux Jeux olympiques d’hiver de Pyeongchang en février et elle a profité de sa visite pour proposer un sommet à M. Moon. Les deux Corées ont marché ensemble lors des cérémonies d’ouverture et ont formé une seule équipe de hockey féminine.

Quand une délégation sud-coréenne de haut niveau s’est ensuite rendue au nord de la frontière, M. Kim aurait expliqué qu’il n’aurait pas besoin d’armes nucléaires si la stabilité de son gouvernement pouvait être garantie et que les menaces extérieures étaient éliminées. Il aurait aussi offert de rencontrer M. Trump et d’interrompre ses essais militaires.

Informé de l’offre de M. Kim par la Corée du Sud, M. Trump a pris la planète par surprise en acceptant.

Où se sont-ils rencontrés?
Réponse courte: quelque part où M. Kim ne devait pas être entièrement à l’aise.

Peu importe l’issue de la rencontre, M. Kim est le premier leader de sa dynastie familiale à traverser la frontière depuis la fin de la guerre de Corée et à s’aventurer sur ce qui est, techniquement, le territoire de la Corée du Sud.

Pour se rendre jusqu’à la «Maison de la paix», dans le village de Panmunjon, M. Kim a dû franchir la frontière. M. Moon et lui se sont serrés la main.

Panmunjon se trouve à une cinquantaine de kilomètres au nord de Séoul et c’est là qu’a été signée l’armistice qui a mis fin aux combats en 1953 — mais non à la guerre, qui techniquement se poursuit aujourd’hui. La tenue du sommet à cet endroit donne un peu l’avantage du terrain à M. Moon, mais le président sud-coréen, qui cherche clairement à rendre son invité à l’aise, a chassé la plupart des médias loin de là.

Qui veut quoi?
C’est ici que ça se complique.

La Corée du Nord pourra vouloir profiter de ses nouveaux muscles nucléaires et du prestige d’une éventuelle rencontre avec Donald Trump pour obtenir un traité de paix qui expulserait éventuellement les forces américaines de la péninsule.

Les chances de voir Washington plier bagage sont toutefois minimes compte tenu de ce qui s’est produit la dernière fois où le Nord a eu l’impression que le Sud était vulnérable — en 1950, quand les forces nord-coréennes ont traversé la frontière, donnant le coup d’envoi à trois ans de carnage.

À court terme, les sceptiques croient que la Corée du Nord fera miroiter la possibilité d’un désarmement pour acheter du temps, et alléger les sanctions qui l’étouffent, pendant qu’elle perfectionne son arsenal, tout en récoltant de l’aide et des concessions en échange de promesses qu’elle n’a aucune intention de respecter.

Séoul, en revanche, veut prendre le contrôle du processus, surtout après une année pendant laquelle Donald Trump a souvent menacé de déclencher une guerre qui aurait essentiellement fait des victimes sud-coréennes.

M. Moon a récemment déclaré qu’il se prépare à une grande transition — la dénucléarisation complète de la péninsule coréenne, l’établissement d’une paix permanente et l’ouverture de relations diplomatiques stables entre les deux Corées.

Est-ce qu’une entente réelle est possible?
Il est fort peu probable que M. Kim soit réellement prêt à renoncer à ses armes nucléaires, ce qui reste la clé de tout déblocage sur la péninsule coréenne. M. Kim, après tout, présente son pays comme étant finalement en mesure de riposter d’égal à égal aux États-Unis.

Mais ce n’est pas là la seule mesure du succès, et les partisans du dialogue disent qu’il faut discuter pour savoir ce qu’on peut obtenir.

Les deux leaders ont déjà rétabli une liaison téléphonique directe entre eux, ce qui est peu banal quand on considère que ces deux pays s’échangent habituellement des menaces, ou au mieux des télécopies.

La Corée du Nord pourrait offrir de geler son programme d’armes en vue d’une éventuelle dénucléarisation, selon différents experts. Mais avant d’accepter, les États-Unis devront préciser que ce gel devra pouvoir faire l’objet d’une vérification sans encombre de la part de l’ONU et s’accompagner d’un démantèlement visible de l’infrastructure nucléaire nord-coréenne.

La Corée du Sud a reconnu jeudi que la partie la plus complexe du sommet de vendredi portera sur le niveau de dénucléarisation du Nord.

Le politologue Ralph Cossa, du groupe de recherche Pacific Forum CSIS, doute d’une percée réelle. Les pourparlers avec Séoul serviront seulement «à faire pression sur Washington pour discuter», a-t-il dit par courriel.

«Du point de vue de la Corée du Nord, le véritable prix est la rencontre avec les États-Unis. Cette simple rencontre rehaussera la légitimité de Kim Jong-un.»

Même sans grande entente, le simple fait de discuter avec M. Kim pourrait être précieux. La récente visite des émissaires sud-coréens à Pyongyang pour préparer la rencontre avec M. Trump «nous en a déjà appris plus au sujet de Kim que ce que nous avions appris en six ans», a récemment écrit sur internet Siegfried Hecker, un scientifique nucléaire qui a souvent visité les installations du Nord.

De plus, dit-il, «ça nous éloigne d’un pas d’une catastrophe nucléaire».

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