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Un référendum au Burundi fait craindre le pire

Rodney Muhumuza et Eloge Willy Kaneza - The Associated Press

BUJUMBURA, Burundi — Les Burundais ont participé jeudi à un référendum qui pourrait permettre au président de rester au pouvoir jusqu’en 2034.

Cinq millions de personnes étaient inscrites pour participer à ce vote qui pourrait aussi prolonger une crise politique qui a déjà fait plus d’un millier de morts et chassé des centaines de milliers de personnes vers les pays voisins.

Le pays a sombré dans le chaos en 2015, quand le président Pierre Nkurunziza a remporté un troisième mandat que plusieurs jugent inconstitutionnel. Les manifestations qui ont éclaté ont été écrasées dans la violence.

À Bujumbura, la capitale, de longues files d’électeurs se sont formées jeudi, sous l’oeil vigilant des forces de sécurité déployées à travers la ville.

«Je suis venu voter parce qu’on m’a dit que ceux qui ne votaient pas seraient punis», a déclaré un électeur sous le couvert de l’anonymat.

Un décret présidentiel menaçait de trois ans de prison ceux qui auraient décidé de rester chez eux.

Les bureaux de scrutin ont fermé à 18 h, heure locale.

M. Nkurunziza, qui a livré une campagne vigoureuse en faveur d’un amendement constitutionnel, a voté dans sa province natale du Ngonzi.

«Je remercie tous les Burundais qui se sont levés tôt pour poser ce geste noble et patriotique», a-t-il déclaré.

On demandait aux électeurs burundais d’adopter un amendement qui prolongerait à sept ans la durée d’un mandat présidentiel, contre cinq ans actuellement, et permettrait à M. Nkurunziza de briguer deux autres mandats à la tête du pays.

Le scrutin semble s’être déroulé harmonieusement, mais le groupe iBurundi, qui documente les infractions alléguées du gouvernement, fait état de certaines tactiques d’intimidation.

Dans la province centrale du Karuzi, la police aurait ainsi «arrêté arbitrairement» un représentant du groupe d’opposition Amizero y’Abarundi, qui était sur place pour surveiller le déroulement du scrutin, a dit iBurundi à l’Associated Press.

Le principal rival de M. Nkurunziza, Agathon Rwasa d’Amizero y’Abarundi, a dénoncé ce qu’il a appelé des irrégularités lors du vote.

«Des intimidations de toute sorte se produisent. Il y a même des individus qui vont aux bureaux de scrutin pour dire aux gens comment voter. C’est contraire à l’éthique de la démocratie et à son esprit», a déclaré M. Rwasa aux journalistes après avoir voté.

Le gouvernement n’était pas disponible pour répondre à ces allégations dans l’immédiat. Il se défend ardemment de cibler son propre peuple, affirmant qu’il s’agit d’une propagande mal intentionnée orchestrée par des exilés. La BBC et Voice of America ont été chassés des ondes en raison d’infractions alléguées.

On ne sait pas à quel moment le résultat du vote sera annoncé.

«On ne s’attendait pas à grand-chose aujourd’hui puisque personne n’osera protester contre le vote dans cet environnement, a dit par courriel Lewis Mudge, un représentant de Human Rights Watch. On craint plutôt que les gens qui s’opposaient au référendum ne soient punis au cours des prochains jours, des prochaines semaines et des prochains mois.»

La tension a atteint un nouveau sommet quand des hommes munis de machettes et d’armes à feu ont massacré 26 personnes, dont plusieurs enfants, vendredi dernier dans un village rural du nord-ouest du pays, près de la frontière avec la République démocratique du Congo. Le gouvernement a blâmé un «groupe terroriste».

On ne sait pas si l’attaque est liée au référendum de jeudi, mais il s’agit quand même d’un «développement très dangereux», a estimé mardi le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, le prince jordanien Zeid Ra’ad al-Hussein.

M. Zeid, qui a aussi affirmé que le Burundi «est le pire abattoir d’humains des derniers temps», a prévenu que «tous souffriront» si le pays plonge dans la violence pendant ou après le vote.

Amnistie internationale affirme de son côté que la période précédant le vote «a été entachée par la violence et par une augmentation de la répression de la dissidence».

«Des opposants réels ou imaginaires auraient été arrêtés, battus ou intimidés, ce qui permet de croire que la situation des droits de la personne ne fait que se détériorer au Burundi», a déclaré par voie de communiqué une représentante du groupe, Rachel Harris.

La communauté internationale, toutefois, s’inquiète. Quelque 1200 personnes ont été tuées depuis le début de 2015 et la Cour pénale internationale a autorisé l’an dernier une enquête sur des allégations de crimes commandités par l’État.

M. Nkrunziza est l’un des nombreux leaders africains qui ont décidé de manipuler la Constitution de leur pays ou d’utiliser d’autres tactiques pour se maintenir au pouvoir.

Il a pris le pouvoir en 2005, à la faveur d’un accord de paix ayant mis fin à une guerre civile qui a fait quelque 300 000 morts. L’ancien leader rebelle de 54 ans est le fils d’un père hutu et d’une mère tutsie. Ce «chrétien renaissant», qui a récolté des appuis en témoignant publiquement de sa foi, a été réélu sans opposition en 2010 lorsque l’opposition a boycotté le scrutin.

Les manifestations ont débuté en 2015 lorsque M. Nkurunziza s’est déclaré admissible à un troisième mandat puisque les parlementaires, et non la population, l’avaient choisi pour son premier mandat. Ses détracteurs estiment que ce troisième mandat est inconstitutionnel, puisque l’accord de paix stipule que le président peut être réélu une seule fois.

Des observateurs craignent de voir ses tactiques rouvrir de vieilles plaies ethniques.

Ces changements «pourraient commencer à démanteler un équilibre hutu-tutsi soigneusement orchestré», prévient le International Crisis Group. qui ajoute que «la répression par le régime, la disparition potentielle du partage des pouvoirs au sein des institutions burundaises et l’effondrement de l’économie présentent des risques d’instabilité».

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