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Les grands défis d’Erdogan

ISTANBUL, TURKEY - JUNE 17: Turkey's President Recep Tayyip Erdogan speaks to supporters during a AK Parti election rally on June 17, 2018 in Istanbul, Turkey. Presidential candidates from all parties are holding campaign rallies across Turkey a week ahead of the countries June 24, parliamentary and presidential elections. (Photo by Chris McGrath/Getty Images) Photo: Getty Images

Personnage central de la Turquie, Recep Tayyip Erdogan joue dimanche son avenir politique lors d’élections présidentielles et législatives
à haut risque. Après deux scrutins en 2015, un coup d’État raté contre lui en 2016 et un référendum qui l’a mené au poste de président en 2017, Erdogan est désormais un acteur incontournable de la Turquie d’aujourd’hui, qu’il a contribué à bâtir tout en jouant un rôle prépondérant dans l’équilibre géopolitique d’une des régions les plus instables du monde.

Un pari risqué

Recep Tayyip Erdogan a créé la surprise en annonçant, le 18 avril, des élections anticipées, un an et demi avant la date prévue du scrutin. Ces élections charnières devaient cimenter l’ascension à la présidence d’Erdogan, qui était premier ministre avant le changement constitutionnel approuvé par référendum en 2017.

En avril, Erdogan semblait certain de l’emporter, mais une âpre course électorale et une économie qui bat de l’aile ont réduit l’écart entre lui et ses trois principaux rivaux, Muharrem Ince (Parti républicain du peuple, CHP, en photo), Meral Akşener (Le Bon Parti, IYI) et le Kurde Selahattin Demirtaş (Parti démocratique des peuples, HDP).

Toujours en avant dans les sondages, Erdogan risque de devoir affronter Muharrem Ince au deuxième tour, en juillet, faute d’obtenir 51 % des voix. «Il y a un mouvement de solidarité contre Erdogan et, dans les élections turques, il y a beaucoup de surprises, parce qu’il y a beaucoup d’indécis», explique Vahid Yücesoy, doctorant à l’Université de Montréal, qui s’intéresse à l’économie politique du Moyen-Orient.

«Il ne faut pas oublier qu’Erdogan est l’expression d’une base politique très réelle qui dépasse largement le culte de la personnalité qu’on lui attribue ainsi que lui-même.» – Stefan Winter, historien à l’Université du Québec à Montréal

Les observateurs internationaux et locaux s’inquiètent aussi du risque de fraude électorale. «Des médias turcs affirment qu’il a donné des instructions aux compteurs de bulletins de vote», affirme Stefan Winter, historien à l’Université du Québec à Montréal. «En 2017, lors du référendum, il y a eu des conditions frauduleuses qui lui ont permis d’obtenir son résultat de 51 %», ajoute M. Yücesoy.

Et même si les fraudes directes ne sont pas prouvées, la démocratie turque est, pour plusieurs, en danger. «Même s’il n’y a pas de falsification directe, le fait que la presse soit muselée, que le candidat du parti civil kurde soit en prison, que le système juridique ne soit plus indépendant de la politique, tout ça favorise le parti au pouvoir», signale M. Winter.

«Il y a un essoufflement du miracle économique turc, l’inflation est à la hausse, il y a une possibilité que le pays soit
en récession. Ça peut nuire politiquement à Erdogan.» – Vahid Yücesoy, doctorant en science politique à l’Université de Montréal

À l’interne

«En 2002, Erdogan était censé être une nouvelle sorte de politicien, légèrement islamiste, beaucoup plus démocratique, plus pro-occidental, plus pro-Kurdes, que l’ancienne garde politique turque d’il y a une vingtaine d’années», résume Stefan Winter.

Le Parti de la justice et du développement (AKP), qu’il dirige, était à l’époque un symbole de renouveau qui a marqué la fin de l’omniprésence de l’État-major de l’armée turque dans la vie politique.

«Erdogan, pendant très longtemps, a été le champion des élections régulières sensiblement libres avec une presse relativement libre, avec des contre-pouvoirs étatiques, une jurisprudence et un système juridique indépendant», affirme M. Winter.

«Il y a eu beaucoup de libertés accordées aux Kurdes, longtemps réprimés par la Turquie, donc les premières années de l’AKP ont été vraiment exceptionnelles», explique quant à lui Vahid Yücesoy.

C’est au tournant des années 2010 que Recep Tayyip Erdogan commence à réprimer des manifestations et à mater l’opposition politique. «On assiste à un virage vers l’autoritarisme. raconte M. Yücesoy. Aujourd’hui, il y a une détérioration des droits de la personne. À titre d’exemple, la Turquie est un des pays au monde avec le nombre le plus élevé de journalistes emprisonnés.»

Un homme autoritaire, donc, qui a tout de même profondément transformé la Turquie, selon les experts. «Il a amené une prospérité sans pareille dans l’histoire de la Turquie, il a amélioré le sort des gens les plus démunis, il a transformé le système de santé, les pauvres ont vu une amélioration concrète de leur situation», énumère le doctorant.

Dans la région

Lors d’une volte-face surprenante, le conflit en Syrie a mené à un rapprochement entre la Russie, l’Iran et la Turquie. Ces anciens rivaux en Syrie, où ils s’affrontaient par milices interposées, sont aujourd’hui à la barre du processus de paix.

«Ils se sont rendu compte que, de toute façon, Bachar al-Assad ne va pas être chassé, que tout le monde a tiré son épingle du jeu, et, en l’absence d’un leadership occidental, surtout américain, ce sont eux qui ont décidé du futur diplomatique en Syrie», affirme Stefan Winter.

«Après le coup d’État raté de 2016, la Turquie a révisé ses relations internationales à cause du retard de l’Occident à soutenir le pouvoir. Erdogan pense aussi que l’Occident était derrière ce coup d’État», analyse de son côté Vahid Yücesoy.

Et rapprochement avec la Russie signifie éloignement des États-Unis. De l’annulation du contrat de F-35 par les Américains au soutien de Donald Trump aux milices kurdes qui combattent le groupe État islamique en Syrie, les tensions s’accumulent et continueront de s’empirer avec une possible victoire de Recep Tayyip Erdogan aux élections de dimanche. «L’Iran et la Russie veulent voir une victoire d’Erdogan», tranche M. Yücesoy.

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