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Des scientifiques pourraient modifier la mémoire humaine

Photo: Getty
Kieron Monks - Metro World News

La modification de la mémoire a fait un grand bond en avant en septembre dernier : le scientifique Ben Strowbridge, de l’université de Cleveland, dans l’Ohio, a créé le plus long souvenir artificiel dans le cerveau d’un rongeur.

«C’est l’équivalent de se souvenir d’un numéro de téléphone, et ça dure 10 secondes» explique-t-il à Métro.

Cette réussite augmente l’espoir d’obtenir des résultats similaires chez les humains. La manipulation de la mémoire est une des branches de la science qui se développe le plus rapidement et elle promet de révolutionner les traitements des maladies mentales.

La Dre Elizabeth Loftus, de l’université Irvine, en Californie, travaille dans le domaine depuis des décennies et elle a découvert qu’il était relativement facile de créer de faux souvenirs. En utilisant des images et des manipulations psychologiques, elle a été capable de réfréner l’instinct d’attaque chez un animal et de transformer une longue haine des légumes en passion chez un sujet. «Nous utilisons un mécanisme pour influencer les gens : grâce à la sélection nutritionnelle, nous pourrions faire une brèche dans le problème de l’obésité. Avec la «neurologie cosmétique», nous pourrions intervenir pour rendre
les gens plus en santé», explique-t-elle.

Par contre, les gens sont hostiles à cette idée – sondage réalisé par Elizabeth Loftus indique que seulement 14 % des gens accepteraient de tels traitements. «J’ai commencé à croire que nous devrions forcer les gens à recevoir des traitements de la même façon qu’on donne des vaccins – il faut probablement un juste milieu entre la liberté personnelle et les coûts pour la société», estime-t-elle.

Mais, volontairement ou non, comment cela serait-il possible? Les souvenirs sont formés de protéines, et celles-ci peuvent être altérées. «Quand un souvenir vous vient en tête, il y a un court moment où la protéine devient instable, décrit le Dr Karim Nader, de l’Université McGill, à Montréal. Pendant ce laps de temps, il est possible de changer le contenu de l’information.»

Lors d’essais sur des patients souffrant d’un syndrome de stress post-traumatique, les chercheurs de McGill demandaient à ces derniers de se souvenir du moment traumatique, et au même moment, ils leur administraient un médicament qui empêche la protéine de la mémoire de se former. Les résultats ont été impressionnants : de 70 à 80 % des patients ont été guéris de leur syndrome en 6 semaines. L’équipe de chercheurs tente maintenant d’étendre le traitement aux désordres, aux phobies et aux dépendances, qui trouvent tous leur origine dans la mémoire.

Il y a toutefois un certain danger. En effet, ces progrès pourraient mener au contrôle de la pensée plutôt qu’au traitement de maladies, et les secteurs de l’armée et de la publicité s’intéressent toujours de près aux nouvelles technologies. «De faux souvenirs pourraient être un moyen de manipuler les gens, s’inquiète Gary Marcus, psychologue et spécialiste de la mémoire à l’université de New York. Nous devons faire preuve de prudence.»

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Des chercheurs ont créé la plus longue mémoire à court terme
Ben Strowbridge et son équipe ont réussi leur exploit en superposant des séquences de mémoire dans l’hypothalamus d’un rat, la partie du cerveau où se forment les souvenirs.

Ils ont connecté des électrodes dans les tissus pour activer les cellules associées à la mémoire. Les électrodes ont fonctionné pendant 15 secondes pendant lesquelles elles ont envoyé de nouvelles données.

En utilisant différents modèles, les chercheurs ont vu différentes réactions dans les cellules de l’hypothalamus, ce qui équivaut à la reconnaissance de différences entre des mélodies. Des expériences précédentes ont réussi à rendre des animaux inquiets face à certains bruits ou odeurs.

Cette nouvelle expérience est la première à démontrer qu’une information peut rester dans le cerveau pour une période prolongée. Strowbridge a expliqué qu’il y a moyen d’aller encore plus loin : «Nous pouvons étager davantage pour emmagasiner plus d’information.»

La prochaine génération de rats de laboratoire à l’Université de Cleveland fera probablement partie de l’histoire
scientifique.

Rencontre avec Dr. Alain Brunet, psychologue à McGill qui traite des personnes souffrant d’un syndrome de stress post-traumatique.
«Les patients ont l’impression que l’histoire sur le papier n’est pas la leur»

Comment fonctionnent les tests?
Nous travaillons avec des cas de maladie à long terme et nous demandons aux patients de se souvenir du moment clé – la partie du traumatisme qui est la plus douloureuse. Les patients lisent un texte où celle-ci est évoquée et prennent le médicament, sans autre psychothérapie. Le traitement est répété une fois par semaine pendant six semaines. Les résultats sont impressionnants : normalement, à la quatrième séance, les patients ont l’impression que l’histoire sur le papier n’est pas la leur.

Faites-vous seulement effacer ce seul souvenir traumatique?
En principe, n’importe quel souvenir émotif peut être touché. Donc, des souvenirs positifs peuvent être enlevés en même temps. Mais quand les gens viennent à nous, ils sont tellement affectés qu’ils considèrent que c’est un risque qui en vaut la peine.

Quel est l’avenir de ce champ d’expertise?
Je crois qu’on en est seulement au début. Nous commençons à peine à explorer les diverses composantes qui peuvent bloquer ou faciliter l’accès aux souvenirs. Les maladies liées à la mémoire sont un problème de santé mondial qu’on trouve partout où il y a la guerre ou des catastrophes, et ce mode de traitement peut y faire face.

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