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Inde: Un métro accusé de libérer des «forces maléfiques»

Photo: Victor Char/Métro

Les Parsis de Mumbai tremblent à la seule évocation du tunnel de métro en construction dans la capitale économique indienne : lorsqu’il passera au-dessous de deux de leurs temples, il libérera des «forces maléfiques» sur terre.

Sans prendre ce présage au pied de la lettre, la Haute Cour de la métropole indienne a tranché: pas question de creuser à 25 m sous la rue Jagannath Sunkersett tant qu’une commission indépendante n’aura pas conclu que les structures des deux Atash Behrams (temples de feu), interdits aux non-Parsis, ne seront pas endommagées et que leurs puits ne seront pas «désacralisés» par les travaux qui devraient prendre fin en décembre 2021.

Pour gagner du temps et compléter le premier métro souterrain de la ville, long de 33,5 km, la Mumbai Metro Rail Corporation (MMRC) s’est engagée à faire dévier de 4 m son tracé.

Ce n’est pas assez pour ceux qui pratiquent la plus ancienne religion monothéiste du monde : le zoroastrisme, dont Ahura Mazdâ est le dieu et Zoroastre le prophète.

«Notre communauté réclame au moins une dizaine de mètres. En plus de 1 000 ans de présence en Inde, nous n’avons jamais revendiqué de droits spéciaux», peut-on lire dans la pétition de 10 000 signatures adressée au premier ministre indien Narendra Modi.

Gandhi et les Parsis
Arrivés en Inde au VIIe siècle pour fuir la conquête musulmane de la Perse (Iran actuel), les Parsis se sont surtout installés à Mumbai. Sur le 1,2 milliard d’Indiens, ils sont tout au plus 100 000, dont la moitié vit dans la mégapole indienne connue pour ses congestions monstres dans lesquelles s’affrontent autobus d’un autre âge, voitures à bout de souffle, bicyclettes, motos et rickshaws, le tout dans un concert de klaxons assourdissant.

Si les Parsis ont réussi à faire entendre leur voix dans la «saga du métro», c’est parce qu’ils pèsent lourd dans l’économie indienne. La famille Tata, par exemple, a une centaine de sociétés faisant travailler 300 000 personnes et son chiffre d’affaires annuel dépasse 40 G$. Mahatma Gandhi, le père de l’indépendance, disait déjà d’eux ceci: «Ils sont insignifiants en nombre, mais au-delà de toute comparaison en contribution.»

Ville aux multiples chantiers, dont bon nombre sont inachevés, Mumbai, connue avant 1995 sous le nom de Bombay, est la seule métropole de 20 millions d’habitants à ne pas avoir de métro souterrain.

Cinq kilomètres ont déjà été creusés, et les Parsis s’inquiètent de l’avancée des travaux. Ils sont sans appel. «Creuser un tunnel sous nos deux temples activera des forces négatives qui nuiront à leurs feux sacrés et provoquera un ressac de la nature», note encore leur pétition.

Pour eux, Ashwini Bhide, la directrice de la MMRC, est tout simplement le cinquième cavalier de l’apocalypse même si elle leur offre toutes les assurances que leurs deux temples, l’un datant de 1830, l’autre de 1897, ne seront pas «souillés» par les travaux commencés en novembre 2016.

«Le feu brûle en permanence dans la cinquantaine de temples parsis à Mumbai», rappelle Anahita Subedar, la rédactrice en chef du Parsi Times, un hebdomadaire de 30 000 exemplaires. Il ne doit jamais s’éteindre. Il est considéré comme la substance la plus pure qui soit sur terre. Il représente la sagesse éternelle du dieu Mazdâ et continue d’illuminer la vie quotidienne de cette minorité indienne «très généreuse quand il s’agit de philanthropie, mais repliée sur elle-même quand il s’agit de religion», reconnaît Subedar, 44 ans, exclue de sa communauté pour avoir marié un hindou.

Les Parsis sont concentrés dans le quartier Fort, où doit passer le métro souterrain qui traversera la ville du nord au sud et permettra de «dégrossir» les trains toujours bondés de la gare Chhatrapati Shivaji, utilisée par cinq millions de voyageurs tous les jours. Le réseau ferroviaire de Mumbai est le plus surchargé du monde et une dizaine de personnes meurent toutes les 24 heures en traversant les voies ferrées ou… en tombant d’un train.

Qui gagnera?
Dans leur bataille contre la «pollution spirituelle» que représente pour eux le passage du métro souterrain, les Parsis ne sont pas les seuls à croiser le fer avec la Mumbai Metro Rail Corporation. Le métro souterrain doit également passer dans le quartier de Churchgate, qui compte une centaine d’immeubles Art déco et où des dizaines d’arbres centenaires ont été abattus. Même scénario près d’un terrain de cricket de
28 acres, sport national des Indiens, en plein cœur du vieux Mumbai.

Les Parsis peuvent donc compter sur les défenseurs du patrimoine et de l’environnement. Mais voilà, ils finiront tous par perdre, selon Naresh Fernandes, rédacteur en chef de Scroll, un site numérique qui a consacré plusieurs articles au futur métro souterrain.
Pour lui, les dés sont jetés. «Je pense que le projet est trop avancé pour l’arrêter ou le modifier. Pour moi, la Haute Cour ne fait que s’assurer que les objections sont prises en compte. C’est tout.»

Le plus haut tribunal de Mumbai a donné jusqu’à mars prochain à la commission indépendante pour remettre son rapport. Après…
Au coût de 5 G$, le métro souterrain, avec ses 27 stations, finira par passer sous les deux temples parsis. C’est écrit dans le ciel.

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