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Aurions-nous sauvé Ki-Suck Han?

Photo de la une du New York Post. Photo: New York Post

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Depuis cinq secondes, un homme probablement ivre est planqué au beau milieu des rails du métro new-yorkais. La minute avant les trois dernières n’a plus aucune importance. Ki-Suck Han est tombé dans le couloir de la mort. Sur le quai : des fonctionnaires, des psychologues, des ouvriers, des médecins, des commis. Des dizaines de travailleurs comme vous et moi. Un photographe pigiste, R. Umar Abbasi, n’a rien de mieux à faire que de sortir son appareil. Certains usagers envoient des textos, d’autres s’affolent, figent, rebroussent chemin.

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Depuis dix secondes, un homme probablement ivre cherche un moyen d’atteindre le quai du métro. Un petit luxe pour éviter la mort. Seulement. À sa gauche et à sa droite, des New Yorkais marchent au pas. Ils auraient pu être Montréalais, Berlinois ou Japonais que cela n’eût rien changé. Des dizaines de citoyens comme vous et mois. Du point A ou point B, la détresse reste lettre morte. Un photographe pigiste, R. Umar Abassi, n’a rien de mieux à faire que de braquer son appareil sur la scène. Certains quidams envoient des textos, d’autres poussent de petits cris, restent figés, s’approchent de l’homme pour finalement rebrousser chemin.

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Depuis quinze secondes, un homme probablement ivre tente de s’agripper à quelque chose, à quelqu’un, et ultimement à la vie. C’est long, quinze secondes. Assez pour faire chauffer une tranche de bacon au micro-ondes, marquer deux buts au hockey ou parcourir un 110 m haie. Mais c’est apparemment trop court pour tendre la main. Des dizaines de témoins comme vous et moi. Un photographe pigiste, R. Umar Abassi, n’a rien de mieux à faire que d’utiliser ses mains pour ajuster sa lentille. Certaines pianotent sur un cellulaire, d’autres s’interposent entre les yeux et le drame à venir, s’agitent pour attirer l’attention du chauffeur, mais aucune ne s’offre en bouée.

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Depuis vingt secondes, un homme probablement ivre tente d’éviter une collision fatale. Devant ses yeux, les gens passent, dépassent, outrepassent, et ainsi, attendent patiemment qu’il trépasse. En psychologie, cette inaction collective s’appelle «l’effet du témoin». Plus à y être, moins à y faire. Et c’est ainsi à Montréal, à New York, en Syrie ou au Congo. Plus à y voir, moins à s’en inquiéter. Le clochard étendu sur Sainte-Catherine fait partie des meubles urbains. Le même homme sur un chemin de campagne, et chaque passant s’agenouille à ses côtés. La responsabilité inversement proportionnelle à la foule. Dans le métro de New York, des dizaines de femmes et d’hommes en moyen d’agir, mais qui se séparent la culpabilité en petites tranches acceptables. Des gens ordinaires, qui auraient compté sur vous et sur moi, sur vous et sur moi qui auraient compté sur eux. Dans le lot, un photographe n’a rien de mieux à faire que d’appuyer sur le déclencheur pour prendre un cliché du «condamné», le titre qui sera apposé à la une du New York Post le lendemain. La photo aurait été 100 fois plus percutante si elle avait montré la foule, avec ce titre : «Tous coupables». Au lieu de ça, on nomme la bêtise R. Umar Abassi, sans trop savoir combien de nous, fonctionnaires, psychologues, ouvriers, médecins ou commis, auraient un cliché de Ki-Suck Han dans leur cellulaire, ou du moins, une tranche acceptable de culpabilité dans leur mallette.

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