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Révolution énergétique : devancer l’Afrique sur le plan écologique

«Une brosse à dents et un peu d’électricité, s’il vous plaît.» Le tout premier Solarkiosk, près du lac Langano, en Éthiopie. Photo: Sasha Kolopic
Elisabeth Braw - Metro World News

Addis-Abeba. Il n’y a pas si longtemps, l’Afrique était le petit dernier des continents, avec son soleil constant et ses infrastructures sanitaires inexistantes. Cela peut justement se révéler une bonne chose pour une économie verte et moderne. Les entrepreneurs africains ont des solutions innovantes trop avancées pour l’Occident.

Dans une ville près du lac éthiopien de Langano, les résidants qui ont besoin de savon ou de dentifrice peuvent maintenant visiter un nouveau kiosque. Encore mieux : ils peuvent y recharger leurs téléphones cellulaires. «Toutes les familles africaines ont maintenant un téléphone cellulaire, mais leurs nombres doivent parfois marcher plus de 15 km pour le recharger, explique Merron Pillart, directrice et gérante de Solarkiosk. En Éthiopie, il y a 2 millions de consommateurs d’électricité, dans un pays de 85 millions de personnes.»

Mme Pillart est une Éthiopienne dont la famille a émigré aux États-Unis quand elle était enfant. Elle exploite son Solarkiosk dans une partie d’Addis-Abeba voisine de l’ambassade mexicaine. Pourtant, on peut s’y rendre uniquement en empruntant une route de terre parsemée de grands trous. Cette modeste maisonnette et ses semblables renferment probablement la solution pour l’avenir énergétique du monde. «Il y a une grande demande d’électricité en Afrique, et les besoins continueront de grandir à mesure que le continent se développera, dit-elle. L’Afrique est capable de produire de l’énergie renouvelable. Les entrepreneurs d’ici innovent, parce qu’il n’y a pas d’infrastructures.»

Bientôt, 1 000 kiosques d’énergie solaire quitteront chaque mois l’usine de Merron Pillart. Ils seront destinés aux régions rurales, où les gens du coin pourront les louer. Les clients paient des frais pour charger leurs téléphones et leurs lampes. «Cela permet aux gens de mener une vie familiale moderne même s’ils n’ont pas accès au réseau électrique», explique-t-elle. Mme Pillart prévoit étendre sa compagnie de kiosques d’énergie solaire à 25 pays africains.

Et ils en auront besoin : dans plusieurs pays subsahariens, en 2020, 40 % des habitants n’auront toujours pas accès à l’électricité. Mais les problèmes énergétiques de l’Afrique seront peut-être son salut : avec les changements climatiques, le monde se tourne de plus en plus vers des sources d’énergie renouvelables.

Selon un récent rapport de l’ONUDI (Organisation des Nations unies pour le développement industriel), seulement 6 % de l’énergie hydroélectrique de l’Afrique et 0,6 % de son potentiel géothermique sont actuellement utilisés. En plus des énormes ressources en énergie solaire et en déchets (voir histoire suivante). Selon Win Van Ness, dirigeant du Réseau de l’énergie renouvelable pour l’organisation SNV, les pays d’Afrique du Nord envisagent d’exporter de l’énergie solaire en Europe. «En ce moment, les initiatives se font sur une petite échelle, note Denis Thieulin, chef des opérations de la délégation des Nations unies en Éthiopie. Mais le pays veut exporter l’énergie solaire afin d’obtenir des devises étrangères.»

Dans la plupart des pays africains, il demeure difficile de faire du commerce : l’Éthiopie se classe au 111e rang du rapport de 2012 de la Banque mondiale, quant à la facilité de faire des affaires. «Oui, il y a de la bureaucratie, mais voyez la croissance! s’exclame Mme Pillart. Je peux faire plus de 50 % de profit. En étant ici, j’ai accès à moins de luxe qu’en Occident, mais j’aide à faire l’histoire.»

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«Le solaire, c’est l’avenir»

C’est l’aide moderne pour le développement : des investissements dans les énergies renouvelables. Dans son nouveau plan énergétique, l’Union européenne financera les projets africains d’énergies renouvelables – et aidera à attirer les investissements étrangers en garantissant leurs prêts. «L’Afrique peut s’épargner l’étape du charbon et du pétrole que l’Occident a traversée», a dit à Métro Andris Piebalgs, commissionnaire au développement.

Est-ce que l’ère du Live Aid est terminée pour l’Afrique?
Oui, principalement grâce aux télécommunications. Les gens communiquent entre eux, avec le marché et avec le monde. D’une certaine façon, c’est un défi, parce qu’il y a plus de demande. Mais le problème majeur persistant est le manque flagrant d’infrastructures. L’investissement dans les infrastructures est coûteux et prend du temps. Au stade actuel, les économies sont toujours basées sur les combustibles fossiles et le charbon. C’est très coûteux et dans les régions rurales, 90 % des Africains ne sont pas desservis en électricité.

Un certain nombre de pays africains sont de plus en plus riches grâce à leurs industries extractives, mais l’Afrique a besoin de sources d’énergie fiables pour éradiquer la pauvreté et faciliter une croissance durable. Les pays doivent développer les énergies renouvelables parce qu’ils ne peuvent s’offrir le pétrole. Si l’Afrique n’exploite pas son potentiel d’énergie renouvelable, sa croissance sera lente. C’est pourquoi nous, en tant que partenaires du développement africain, devons aider les pays à investir dans les énergies renouvelables, surtout solaire. C’est le continent qui a le plus de potentiel.

Pourquoi?
Les énergies solaire et éolienne sont très efficaces. Nul besoin de construire de puissants générateurs. On peut utiliser des microgrilles à la place de grilles lourdes. Pas non plus besoin de gros investissements dans les chemins de fer pour des constructions qui nécessitent beaucoup de temps. Les gens sont pressés de voir leur qualité de vie s’améliorer et veulent du changement avant qu’on puisse finir un projet d’infrastructure majeur. Avec l’électricité, les perceptions changent : on peut lire le soir, on peut cuisiner, avoir de meilleurs soins de santé. L’énergie renouvelable est un raccourci pour le développement.

Si l’Afrique se développe, les changements climatiques s’accélèrent, puisque plus d’Africains conduiront des voitures, voyagent et utilisent de l’électricité. Est-ce une autre raison pour laquelle l’énergie renouvelable en Afrique est si importante aux yeux de l’Occident?
L’énergie renouvelable est vraiment un outil important pour la lutte contre le réchauffement climatique. Le potentiel de l’Afrique est énorme. La biodiversité est une autre raison d’encourager l’Afrique dans cette voie. Le continent a beaucoup de biodiversité, mais peu importe où on va, on peut sentir du bois qui brûle.

Le charbon est la source principale d’énergie dans plusieurs endroits, mais quand on coupe des arbres pour faire du charbon, on fait du tort à la biodiversité. Nous devrions aider les Africains à résister aux calamités qui viennent avec les changements climatiques. Quand des régions sont touchées par la sécheresse, ils ont accès à des puits. Mais ces puits fonctionnent au pétrole, ce qu’ils ne peuvent pas se payer. S’ils avaient accès à de l’énergie renouvelable, leurs réserves d’eau seraient en sécurité.

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Ghana. Les toilettes de l’avenir

L’Afrique manque de toilettes. L’Occident entretient un système d’égouts qui est coûteux et qui engendre du gaspillage Ces deux défauts ont trouvé leurs solutions à Accra, capitale ghanéenne. «La défécation en plein air est un gros problème en Afrique, explique Kweku Anno, fondateur de BioFil. Mais dans les pays développés, les toilettes sont des décharges d’éléments nutritifs. Les nutriments sont envoyés dans les égouts. Il n’y a aucune raison qui justifie un transport coûteux des déchets de toilette quand on peut les transformer sur place.»

Les toilettes BioFil conservent ces déchets et les transforment en engrais. «Au lieu de se perdre dans les océans et les rivières, les nutriments peuvent se retrouver dans les aliments, décrit-il. Les déchets de toilette vont directement dans un digesteur, où les solides sont entièrement décomposés et où les nutriments sont filtrés avec les liquides pour être utilisés comme engrais.»

BioFil a déjà installé 4 000 toilettes en Afrique de l’Ouest. «Nous en avons quatre dans notre maison!» ajoute Lydia, la femme de Kweku Anno. «Elles peuvent être utilisées en Occident aussi, explique celui-ci. On peut avoir un digesteur sur son balcon ou même dans son salon. Il est très important, dans une économie verte, de récupérer les nutriments pour remplacer les engrais artificiels.»

Selon Linus Dagerskos, de l’Institut de l’environnement de Stockholm, cette toilette est un concept prometteur : «Elle requiert très peu d’eau, elle ré-utilise l’eau qu’on emploie pour se laver les mains et elle filtre les déchets au-dessus du sol, ce qui protège l’eau souterraine, dit-il. Cela pourrait même fonctionner dans des pays au climat plus froid, si le filtre est isolé.»

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Accra. De l’énergie dans les toilettes

Dans son bureau d’Accra, au Ghana, Timothy Wade, un Américain dynamique, gère une opération qui pourrait bien révolutionner l’énergie. «Le monde dépense des millions de dollars chaque année pour traiter les déchets, alors que cette ressource a de la valeur», explique-t-il. Au lieu d’usines de traitement, nous pourrions installer des usines qui peuvent capturer la valeur des déchets.»

La compagnie de M. Wade, Waste Enterprisers, demande aux gouvernements municipaux, comme celui d’Accra, de lui remettre leur «boue fécale» (les déchets de toilettes. «Nous pouvons en faire des boulettes, puis les transformer en carburant : c’est de la biomasse, développe-t-il. La biomasse a une valeur énergétique de presque 1 kWh par kilo, 10 % de plus que les copeaux de bois. C’est un bon carburant. Les villes peuvent faire de l’argent en vendant leurs déchets de toilette à des compagnies d’électricité qui, elles, pourront vendre la biomasse à bas prix.»

On commence à peine à transformer ce type de déchets en électricité en Occident, où les compagnies utilisent la boue des stations d’épuration. Mais dans les pays en voie de développement, il n’y a pas de stations d’épuration. La boue fécale est plus fraîche et possède plus de valeur énergétique. Au Rwanda, 14 prisons – détenant des prisonniers de guerre – sont maintenant alimentées par les déchets de toilette des détenus.

Le retard de l’Afrique pourrait devenir un avantage concurrentiel. «Puisqu’il n’y a pas d’infrastructures sanitaires, les pays en voie de développement devancent les pays occidentaux pour ce qui est de la transformation des déchets en énergie. Accra peut être à l’avant-garde, pas seulement de l’Afrique, mais du monde entier», ajoute Timothy Wade. Win Van Ness précise : «La boue fécale pourrait devenir une bonne source d’électricité locale, mais le transport en ferait un produit trop cher à exporter en Occident.»

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