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État islamique: «des attaques de plus en plus fréquentes»

Photo: The Associated Press

Trois ans après avoir quitté le Moyen-Orient, voilà que Washington y replonge pour faire face à une plus grande menace que celle que posait Saddam Hussein en 2003. Métro a parlé avec le professeur Thomas Juneau, spécialiste du Moyen-Orient à l’Université d’Ottawa, de la campagne militaire que mènent les États-Unis et la vaste coalition de 50 pays qui y participent.

Devrait-on s’inquiéter des menaces proférées dimanche par État islamique contre les Occidentaux?
Il est plausible que des attaques semblables à celles ayant coûté la vie à Hervé Gourdel deviennent de plus en plus fréquentes. Toutefois, il serait faux de croire que ces attaques seront automatiquement menées en représailles à l’implication des pays dans la guerre contre État islamique. M. Gourdel était au mauvais endroit, au mauvais moment: on peut raisonnablement penser qu’il serait mort, même si la France n’avait pas fait partie de la coalition américaine.

Les Américains ignorent pour combien de temps et à quel coût leurs troupes s’engagent au Moyen-Orient. Le président Obama a-t-il précipité son entrée en guerre contre État islamique, selon vous?
Non, absolument pas. D’abord parce que c’est dans la nature de la guerre de ne jamais annoncer son coût et sa durée. Puis Barack Obama participe, depuis trois ans, à des délibérations sur l’implication que doit avoir Washington en Syrie. M. Obama était d’ailleurs extrêmement récalcitrant à retourner au Moyen-Orient.  Ce qu’on peut lui reprocher, c’est de ne pas avoir énoncé clairement ses objectifs. Parfois, il veut éradiquer État islamique; d’autres fois, il veut seulement le contenir. Or, l’un et l’autre n’impliquent pas le même engagement…

Estimez-vous que les médias font le jeu des militants intégristes en faisant connaître au public les atrocités qu’ils commettent?
On doit l’accorder à État islamique: il a un sens du marketing et du timing exceptionnels et il sait utiliser les médias pour propager leur terreur. Mais je m’oppose absolument à ceux qui accusent les médias de diffuser le message d’État islamique et des autres groupes de la même farine: le rôle des médias, dans notre société, est de montrer le réalité comme elle est, point, sans prendre aucun parti.

Barack Obama a déjà tourné en ridicule État islamique dans une entrevue au New Yorker, disant que ce n’était pas parce que quelqu’un portait un chandail des Lakers que ça en faisait l’équivalent de Kobe Bryant. Est-ce que les autorités américaines ont pris à la légère ce groupe intégriste? Est-ce que Washington aurait pu agir plus tôt pour contrer État islamique, lorsque celui-ci a conquis la ville irakienne de Falloujah, au début de 2014?
Je ne crois pas que Barack Obama aurait pu agir avant, parce qu’il était impossible de prédire, il y a 10 mois, l’explosion de puissance que connait État islamique aujourd’hui. Peut-être qu’une intervention militaire n’aurait fait qu’empirer les choses. Ainsi, plusieurs personnes reprochent au président Obama de ne pas être intervenu en Syrie plus tôt. Mais qui peut savoir ce qu’aurait entraîné une implication militaire directe des États-Unis dans ce conflit?

Le président Obama répète que les États-Unis n’agissent pas seuls dans cette nouvelle guerre contre État islamique, et qu’ils sont épaulés par une vaste coalition. Or, on s’étonne de ne pas retrouver Israël, qui doit être le plus puissant allié des États-Unis au Moyen-Orient, parmi cette coalition. Comment expliquez-vous cette absence?
La meilleure façon d’empêcher la création d’une coalition avec le monde arabe, c’est certainement d’y inclure Israël. Il est impossible d’imaginer un seul instant des pays arabes s’allier avec l’État hébreu dans les circonstances actuelles. Pendant la première guerre du Golfe menée par George H. Bush de 1990 à 1991, Washington a d’ailleurs délibérément laissé de côté son allié israélien.

Plusieurs pays arabes se retrouvent dans une situation qui peut sembler particulière face à État islamique: plusieurs, comme le Qatar ou l’Arabie saoudite, financent une vision très rigoriste de l’islam sunnite, tout en intervenant militairement contre État islamique qui se veut un retour aux sources de l’islam.
Il faut nuancer: ces pays n’ont jamais soutenu État islamique ou Al-Qaïda, pour la simple et bonne raison que ces groupes posent une menace importante à leurs propres intérêts. Peut-être que des citoyens de ces pays financent ou soutiennent État islamique ou d’autres groupes intégristes, mais faut-il blâmer les États d’être incapables de contrôler la circulation d’argent en dehors de ses frontières? C’est très compliqué de tracer les transactions transfrontalières. Ainsi oui, certains pays arabes peuvent paraître pétris d’ambiguïtés, mais ils savent très bien où défendre leurs intérêts en se joignant à la coalition menée par Washington.

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