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«Je voulais rebooster la ville», explique l’ancienne mairesse de Strasbourg

Photo: Collaboration spéciale

Il y a 25 ans, lorsque Catherine Trautmann est devenue mairesse de Strasbourg, elle a décidé de transformer sa ville, en revoyant la façon de se déplacer de ses citoyens. Elle a mis en place un important réseau de tramway, en plus de multiplier les rues piétonnes, les pistes cyclables et les écoquartiers. Elle sera de passage à Montréal cette semaine pour parler de son expérience.

Lorsque vous êtes devenue mairesse de Strasbourg, dans quel état était la ville?
La ville était surnommée «la belle endormie». Il n’y avait plus de grands chantiers depuis très longtemps. Le projet de tramway, qui avait été porté par le prédécesseur du maire que j’ai battu, Pierre Pflimlin, avait été mis de côté au bénéfice d’un projet de métro souterrain. Les problèmes de pollution rendaient les enfants malades, gênaient les personnes âgées et étaient un grand danger pour notre patrimoine le plus célèbre, la cathédrale de Strasbourg. La plupart des dégâts étaient extrêmement graves et étaient liés à la pollution automobile.

Au lendemain de votre élection, vous avez annoncé une «ère nouvelle». Quelle était votre inspiration?
J’ai une passion pour les villes. J’ai beaucoup travaillé avec des amis architectes-urbanistes sur des projets de transport. Je me disais que la mise en mouvement de la ville et la connexion entre les quartiers apporteraient beaucoup de solutions. On voyait que les gens commençaient à quitter le centre-ville parce que ce n’était plus vivable: trop de bruit, trop de pollution. Il fallait retrouver comment fixer des habitants et des familles dans Strasbourg, parce qu’un centre-ville mort, c’est une horreur, c’est un musée.

Je voulais que l’attractivité de la ville soit plus forte, en même temps que je cherchais à répondre avec toute mon équipe aux attentes des gens. C’était nouveau. C’était une démarche complète. On n’a pas considéré que les gens ne pouvaient être que piétons, cyclistes, usagers du transport en commun ou automobilistes. J’ai cherché à rendre tous ces usages compatibles, en donnant de la liberté aux gens et en espérant que l’attractivité et le confort du transport public attirent davantage de gens. On a mis cela sous l’angle d’un plan de déplacement urbain, qui a été notre guide et, en quelque sorte, notre signature.

Durant la campagne électorale de 1989, votre adversaire, Marcel Rudloff, prônait la création d’un système de métro alors que vous étiez en faveur d’un système de tramway. Pourquoi optiez-vous pour ce mode de transport collectif?
La différence entre le métro et le tramway, c’est que le tramway est en surface et que les coûts d’infrastructures sont moindres. On peut construire beaucoup plus de kilomètres de ligne. On a construit le double de kilomètres pour la première ligne à cause de ce choix. On peut aussi y pénétrer facilement. On n’a pas autant de problèmes de sécurité avec un mode de transport en surface. Les femmes ne sont pas dissuadées de le prendre, comme elles le sont à certaines heures du jour ou de la nuit pour ce qui est du métro. Je voulais l’égalité urbaine, ce qui fait qu’il fallait trouver un coût de transport pas trop élevé et une grande qualité qui permet à tous les usagers de l’utiliser sans problème.

La piétonisation était-elle facile à implanter?
Ce n’est pas moi qui ai pris les premières décisions de piétonisation. C’était précisément le maire Pierre Pflimlin qui avait commencé et qui avait essuyé une première salve de critiques. J’ai étendu le secteur piétonnier et il est devenu le plus important en France, en 1992. J’ai affronté les opposants, même physiquement. J’ai appelé cela le corps-à-corps. Des automobilistes étaient furieux. Des Strasbourgeois refusaient les contraintes que représentait ce secteur parce qu’ils avaient l’habitude de traverser la ville à grande vitesse. Sauf qu’on avait des accidents, on avait des morts, on avait des gros problèmes. Alors, j’ai pensé qu’il fallait civiliser la voiture et civiliser la voiture ne signifiait pas être antivoiture.

Avec la piétonisation, tout à coup, le centre-ville s’est rempli de gens. C’est devenu un lieu de vie, un lieu de déambulation, de rendez-vous, de plaisir, de manifestation, de tout. On avait un peu donné – ç’a changé depuis – à notre place publique centrale une allure de salon urbain. Aujourd’hui, on a plus de 50% des déplacements à pied au centre-ville

Avez-vous envisagé le péage autour de Strasbourg pour restreindre l’accès des automobilistes au centre-ville?
C’est une idée qui a été étudiée, mais on ne l’a pas retenue parce que c’est très dissuasif et c’est très pénalisant pour les gens qui viennent y travailler.

Les automobilistes sont fortement incités à prendre le transport en commun à Strasbourg. Lorsqu’ils garent leur voiture dans un stationnement incitatif payant, ils obtiennent du même coup un billet pour le tramway ou l’autobus…
Cette initiative a très bien fonctionné. C’est très attractif pour ceux qui sont des navetteurs. On a aussi une dissuasion douce. Nous n’avons pas créé de places de stationnement depuis les années 1990 dans le centre-ville. On les a mises un peu plus loin de l’hyper-centre. On a limité la vitesse de la circulation automobile. On développe aussi beaucoup aujourd’hui les zones 30, soit des zones de co-usage de l’espace public en maîtrisant en quelque sorte la circulation automobile. C’est assez efficace. Les automobilistes ont été obligés d’être plus économes en terme de trajet.

Le défi aujourd’hui à Strasbourg demeure la cohabitation…
Oui. On est un peu dépassés par notre succès. Alors il faut rechercher de nouvelles réponses. On a eu un très grand succès pour l’usage du vélo. Alors, on a des conflits d’usage entre piétons et cyclistes. C’est vrai à Copenhage et c’est aussi vrai dans les grandes villes suisses qui ont beaucoup de vélos.

Le financement de vos projets était-il un enjeu?
Oui. Bien sûr. Il y a un coût d’aménagement. On peut dire qu’il est un peu plus élevé quand on fait des aménagements pour des pistes cyclables, pour des trottoirs, pour des plantations. Mais ce n’est pas si significatif. Quand vous refaites une rue, vous pouvez l’aménager d’une certaine façon. Après, il y a des choix de matériaux. La dépense est plus importante pour le transport public, mais elle est justifiée parce que nous avons un très haut niveau de remplissage des tramways.

Les gens acceptent que le budget de la communauté urbaine paie ces infrastructures, mais il n’y pas d’équilibre qu’on puisse obtenir dans la gestion du réseau. On est automatiquement déficitaire. Après, il faut voir jusqu’à quel niveau on peut supporter le déficit du fonctionnement de notre réseau de tramway et de bus.

Heureusement, en France, pour les projets de transport en commun, il y a une taxe pour les entreprises qui s’appelle le «versement transport». La première ligne de tramway a été très bien financée. Nous avons respecté les délais et notre budget prévisionnel. Nous avons la chance de pouvoir utiliser, dans les deux premières phases, le versement transport des entreprises. Nous avons fait attention de ne pas simplement desservir les quartiers d’habitation et les équipements publics, mais aussi les entreprises. Nous avons revalorisé la valeur du foncier et des logements et ç’a permis de nouvelles implantations de commerces et de services. C’est aussi un effet positif, notamment dans des quartiers périphériques.

Quand vous avez quitté la mairie de Strasbourg, aviez-vous complété tout ce que vous vouliez faire?
Ce genre de projet, ça se réalise sur 15 ou 20 ans. Nous avons eu la chance, [les socialistes], d’être réélus en 2008. Les gens ont fait la différence entre notre équipe et celle qui nous a succédé en 2001. Je ne suis pas maire. C’est Roland Ries qui est maire de Strasbourg, mais je suis dans l’équipe et je m’occupe aujourd’hui de développement économique, de l’attractivité et du port autonome. Donc, j’apporte ma pierre dans la suite des projets, à la fois avec ma vision et en travaillant avec le monde des créateurs et des scientifiques et des industries et aussi des startups. C’est intéressant aussi.

Qu’est-ce vous pensez de votre ville aujourd’hui?
C’est une ville dont la beauté apparaît davantage. Elle respire différemment. Malheureusement, les efforts que nous avons faits dans le centre-ville et dans les quartiers ont été en partie annihilés en terme de pollution atmosphérique par les encombrements autoroutiers. Nous avons là un nœud difficile qu’il faut arriver à lever, en particulier parce que nos voisins allemands ont mis des taxes sur les autoroutes et que les camions se déversent chez nous.

Le défi, c’est aussi de faire en sorte qu’on arrive à réinvestir pour qu’on puisse continuer à bâtir la ville sur la ville. C’est difficile parce que les gens veulent partout des petits jardins et des espaces verts. Mais si on veut le faire, il faut aussi bâtir des immeubles qui sont plus hauts et pas seulement des pavillons. C’est un débat. La reconquête de la ville sur une partie de l’espace portuaire et la restitution de ses activités sont également les défis des prochaines années.

La réflexion n’est pas terminée sur l’aménagement de la ville?
Non, ce n’est pas terminé. On ne finit jamais. J’ai déjà comparé le travail sur une ville avec une tapisserie. Je me demandais si, comme maire, je n’étais pas un peu Pénélope, c’est-à-dire à redéfaire le fil alors que j’avais le canevas. Au fond, j’ai du plaisir à voir que les orientations que j’ai portées restent valables.

Qui est Catherine Trautmann?

  • Membre du Parti socialiste
  • Élue au conseil municipal de Strasbourg en 1983
  • Mairesse de Strasbourg et présidente de la Communauté urbaine de Strasbourg de 1989 à 2001
  • Ministre de la Culture et des Communications dans le gouvernement de Lionel Jospin de 1997 à 2000
  • Députée européenne de 2004 à 2014
  • Aujourd’hui conseillère municipale, vice-présidente de la Communauté urbaine de Strasbourg et présidente du port autonome de Strasbourg

Conférence à Montréal
À l’invitation du Conseil régional de l’environnement de Montréal, Catherine Trautmann donnera une conférence mardi, à 17h15, à l’Université du Québec à Montréal (200, rue Sherbrooke, local SH-2800) à l’occasion du Forum Urba 2015.

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