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Le Nicaragua entre deux eaux

Photo: Adrienne Surprenant

Aujourd’hui s’amorce au Nicaragua la construction d’un canal maritime trois fois plus long que celui de Panama. Piloté par une entreprise chinoise, le mégaprojet divise la population. Tenus dans l’ignorance, les habitants affectés affirment être prêts à prendre les armes si on les force à quitter leurs maisons pour ce qu’ils considèrent un «vol des pauvres au profit des riches».

À Brito, les habitants n’ont aucune idée du sort qui les attend. C’est dans ce petit village situé sur la côte Pacifique que s’amorcent aujourd’hui les travaux d’excavation du port en eau profonde qui sera la porte d’entrée de l’immense canal sur le point de voir le jour.

«Ils ont commencé à couper des arbres pour agrandir la route. Mais quand on leur demande ce qui se passe, ils ne nous disent absolument rien», s’offusque Margarita de Sacasa, propriétaire terrienne à Brito. Pendant que les travaux démarrent non loin de son terrain, elle ne sait toujours pas si ses terres seront confisquées, ni à quel montant se chiffrera la compensation financière promise par le gouvernement.

Les quelque 30 000 personnes directement touchées dénoncent le manque de transparence entourant le projet du canal. «Nous ne sommes pas contre le projet. Nous sommes contre la manière dont ça a été fait», insiste Margarita de Sacasa.

Dès 2019, un flux de 5100 cargos Post Panamax et pétroliers transitera chaque année par le lac Cocibolca, principale source d’eau potable du pays et deuxième plus grand lac d’eau douce d’Amérique latine.

Pour les paysans qui seront expropriés, leurs terrains représentent leur survie, leur fierté et leur héritage. Dans ce pays marqué par la guerre, nombreux sont ceux qui ont porté une arme au cours de la révolution sandiniste dans les années 1970 et savent encore l’utiliser. «Quand vous allez nous voir avec de l’eau jusqu’au cou, nous allons nous défendre parce que ce régime se convertit en dictature», affirme un manifestant qui préfère garder l’anonymat.

«Pourquoi, au Nicaragua, le gouvernement a-t-il négocié uniquement avec les grands investisseurs et non avec la population, qui sera réellement affectée? Au Panama, pour procéder à l’agrandissement du canal, ils ont tenu un référendum national», s’indigne Octavio Ortega, directeur de l’organisme environnemental et social FUNDEMUR.

Signée en sept jours, la concession du canal accorde à l’entreprise chinoise Hong Kong Nicaragua Canal Development (HKND) les droits de développement et de gestion du canal et de ses projets connexes pour une durée de 50 ans, avec la possibilité d’un renouvellement de 50 ans. Entendu dans toutes les manifestations, le cri «¡Ortega vende patria!» – «Ortega vend la patrie!» – est devenu la principale récrimination des opposants au projet à l’endroit du président nicaraguayen, Daniel Ortega.

Ce dernier demeure toutefois optimiste, car pour lui, le canal sera l’Eldorado qui «sortira le pays de la pauvreté». Avec un investissement de 50G$ pour la construction d’un canal de 278km de long et de ses sous-projets, l’entreprise concessionnaire chinoise HKND prévoit doubler le PIB national et créer plus de 50 000 emplois durant la construction.

Pour la jeunesse du deuxième pays le plus pauvre d’Amérique centrale, où plus de 40% de la population vit sous le seuil de la pauvreté, les promesses font rêver d’un futur meilleur. Mais elle n’est pas prête à payer n’importe quel prix pour attirer ces emplois.

«Cette fois, les profits générés par le mégaprojet devront bénéficier à tous, et le gouvernement aura la responsabilité d’assurer un salaire équitable aux travailleurs et le respect de leurs droits», souhaite Albert Arguello, jeune artiste d’El Coyol qui doit travailler au Costa Rica six mois par année en raison du manque d’emplois dans son village.

La nature, la grande oubliée

L’opacité qui entoure le projet suscite l’inquiétude au sein de la communauté scientifique du Nicaragua, qui manque de données pour réaliser des études indépendantes. Manuel Ortega Hegg, directeur du centre d’analyse socioculturelle de l’Université centre-américaine (UCA), est préoccupé par le fait que la construction du canal commence si tôt, soit le 22 décembre, et ce, même si les études de faisabilité et d’impact environnemental ne seront terminées et publiées que quatre mois plus tard. «Inévitablement, le canal compromettra le bien-être des générations futures, et les ressources fondamentales du pays, principalement les ressources hydriques», estime-t-il.

Selon le Centre Humboldt, le mégaprojet modifiera considérablement l’écosystème du pays en traversant les réserves naturelles protégées de Cerro Silva et de Punta Gorda, en plus de détruire des zones de mangroves et des lieux de ponte de tortues marines. En coupant le pays en deux, le canal brisera la route migratoire de 22 espèces animales menacées d’extinction.

Participation financière
Ne pouvant porter seuls le poids financier du projet, le gouvernement nicaraguayen et l’entreprise HKND ont invité d’autres pays à subventionner et participer à la construction du canal.

  • La Russie, le Venezuela, le Brésil, la Corée du Sud et le Japon ont répondu à l’appel. Aucun pays n’a cependant précisé les détails de sa participation.
  • À ce jour, les États-Unis et le Canada n’ont exprimé aucun intérêt marqué pour le projet. Ils attendent que le chantier démarre avant de se prononcer.

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