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L’internet pour les pauvres: bonté ou calcul?

Photo: Creative Commons
Daniel Casillas et Dmitry Beylaev - Metro World News

Les programmes destinés à mettre l’internet à la disposition des gens les plus pauvres de la terre semblent être de grandes initiatives humanitaires, mais certains critiques y voient plutôt la stratégie commerciale du siècle…

De riches entreprises et des sociétés de haute technologie comme Facebook, Google et Virgin mettent sur pied des programmes afin de fournir des services internet bon marché à des populations qui sont parmi les plus pauvres de la terre. La plupart de ces projets supposent l’utilisation de satellites, de drones ou de câbles. Tous cherchent à améliorer les niveaux de connectivité dans le monde parce que tous partent du principe que l’accès à l’internet est un droit de la personne.

Selon une enquête de Deloitte rendue publique en janvier dernier, parmi les 7 milliards d’humains qui vivent sur terre, 2,7 milliards ont accès à l’internet, et la grande majorité des 4,3 milliards qui ne sont pas branchés se trouvent dans des pays en voie de développement. Les populations qui n’ont pas accès à l’internet sont en général parmi les plus pauvres et les plus désavantagées du monde. Cette étude, intitulée Value of connectivity, conclut par ailleurs qu’accroître l’accès à l’internet dans les pays en développement pour le porter aux niveaux qu’on observe aujourd’hui dans les économies développées pourrait permettre de créer plus de 140 millions d’emplois.

C’est ce type de statistiques qui a incité de nouvelles entreprises en démarrage comme Outernet à favoriser le branchement à l’internet partout dans le monde. «L’information est l’un des outils dont les gens peuvent se servir pour changer le monde autour d’eux. Outernet est une nouvelle façon de garantir l’accès à des informations de base», déclare Thane Richard, directeur de l’exploitation et éditeur d’Outernet, qui prévoit fournir un accès gratuit à des contenus web grâce à des satellites géostationnaires en orbite basse.

Toutefois, en ce moment, la plupart des projets de diffusion de l’internet dans les zones pauvres demeurent à l’étape de la préparation: Google fait l’essai de drones, tandis que Virgin planche sur une «constellation» de 650 micro-satellites.

Facebook est la seule grande société à exploiter un système qui fournit des services internet aux gens pauvres. Le projet Internet.org, mené par le géant des médias sociaux, est le plus avancé de tous, étant déjà en service dans certains pays – dont la Zambie, l’Inde, la Tanzanie, le Kenya, la Colombie et le Ghana – grâce à une application pour téléphones intelligents qui donne accès à l’internet à des utilisateurs ayant peu de ressources. Internet.org représente aussi une occasion d’explorer diverses approches technologiques – notamment celles qu’offrent les avions de haute altitude et de longue endurance, les satellites et les lasers – pour rendre l’accès à l’internet abordable dans les communautés du monde entier.

«Le plus grand danger est que les gens qui choisissent d’exercer leurs droits en accédant à Outernet soient punis pour cette raison.» – Thane Richard, éditeur d’Outernet, qui craint que les gouvernements qui bafouent les droits de leurs citoyens répriment les utilisateurs de l’internet.

Les premiers utilisateurs de l’application Internet.org se disent très satisfaits, car elle leur a donné accès à un plus grand nombre d’informations, ce qui leur a notamment permis d’améliorer la gestion de leur commerce et même de modifier leur style de vie. «Internet.org m’aide beaucoup et je crois que cela a changé ma vie», déclare Alice, une mère de famille de Kabwe, en Zambie, qui souhaite devenir infirmière, dans une vidéo YouTube portant sur les expériences des premiers utilisateurs de l’application lancée par Facebook en juillet 2014.

Tandis que les témoignages des premiers utilisateurs de Internet.org présentent Facebook sous un jour favorable, des critiques se font aussi entendre qui accusent cette initiative de n’être qu’une stratégie commerciale du réseau social. «Internet.org est une excellente idée sur le plan commercial pour Facebook. C’est un investissement qui permet à plus de gens d’aller en ligne, ce qui élargit le bassin potentiel d’utilisateurs de Facebook, et comme la chose est présentée comme un effort philanthropique, cela est également bon pour la réputation de l’entreprise», explique à Métro Vlad Savov, rédacteur principal du site américain de nouvelles technologiques.

Les spécialistes et les gouvernements s’entendent sur le fait que l’accès à l’internet peut aider les populations les plus pauvres de la terre et qu’il devrait être un droit de la personne. Certains experts s’interrogent cependant sur les raisons qui sous-tendent la diffusion de l’internet et y voient en général des stratégies commerciales sous le couvert de campagnes humanitaires. «Ainsi, quand la Silicon Valley demande: ‘‘L’accès à l’internet est-il un droit de la personne?’’, on peut répondre en retournant la question et lui demander à notre tour: ‘‘Quel genre d’internet? Quel genre d’accès?’’, a écrit Evgeny Morozov, auteur de l’ouvrage The Net Delusion: The Dark Side of Internet Freedom, dans une chronique publiée dans The New York Times.

Questions-réponses avec Thane Richard

Comment vous est venue l’idée d’Outernet?
C’est Syed Karim, le fondateur et PDG d’Outernet, qui l’a eue. Dans le cadre de ses emplois précédents, il a rencontré des responsables d’entreprises travaillant à des projets médias indépendants partout dans le monde et a investi dans ces sociétés. C’est là que le problème de l’accès à l’information est devenu pour lui un problème fondamental qu’il a souhaité résoudre.

La censure disparaîtra-t-elle totalement avec Outernet?
Malheureusement, l’élimination de la censure n’est pas pour demain. Cependant, le fait qu’un problème soit difficile ne signifie pas que nous ne devions pas tenter de le résoudre. Outernet est un outil très utile pour rendre l’information disponible partout.

Quand la technologie pourra-t-elle être utilisée?
Nous diffusons un signal qui couvre l’Amérique du Nord, l’Europe, certaines régions du Proche-Orient et l’Afrique du Nord depuis août dernier. Ce signal peut être capté à l’aide d’une technologie spéciale. En décembre, nous avons ajouté l’Afrique subsaharienne. Lantern, le récepteur de données pour lequel nous amassons des fonds en ce moment, sera opérationnel au troisième trimestre de 2015.

La gratuité universelle de l’internet est-elle envisageable?
L’internet est un moyen qui permet la communication bilatérale, ce qui signifie qu’il fournit deux services aux usagers : la possibilité d’accéder à de l’information et celle de s’exprimer. Fournir ces deux services est une opération qui coûte cher et qui ne sera pas universelle avant de nombreuses années.

Comment Outernet changera-t-il l’internet?
Outernet ne change pas l’internet, mais propose un autre type de connectivité aux gens qui ne peuvent accéder à l’internet – que ce soit en raison des coûts, des infrastructures, de la liberté politique ou de la géographie – afin qu’ils puissent consulter en ligne l’information la plus utile.

Quels sont les principaux dangers et défis auxquels fait face ce projet?
Outernet diffuse dans des régions où le libre accès à l’information n’est pas quelque chose que les gouvernements permettent. Ces gouvernements bafouent les droits humains de leurs citoyens. Le plus grand danger est que les gens qui choisissent d’exercer leurs droits en accédant à Outernet soient punis pour cette raison.

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