Il faut combattre le discours de division, selon Tariq Ramadan

Les politiques étrangères occidentales alimentent les divisions qui déchirent le monde musulman et qui nourrissent les idéateurs d’attentats comme ceux ayant frappé Paris, a affirmé lundi soir à Montréal Tariq Ramadan, penseur de l’islam aussi controversé que prolifique.

«Mon discours, ce soir, sera plus politique qu’à mon habitude», a d’entrée de jeu averti le conférencier invité par les Canadiens pour la justice et la paix au Moyen-Orient (CJPMO), un organisme indépendant faisant la promotion, auprès des citoyens et des élus, d’une détente dans la région la plus instable du monde.

«Le clash du monde actuel n’en est pas un de civilisations: c’en est un de perception», a affirmé M. Ramadan, professeur d’études islamiques contemporaines à l’université d’Oxford, dont l’œuvre compte plus de 30 ouvrages… et quelques importantes discordes, comme le rappelaient les voitures de police qui avaient jugé bon d’être voyantes à l’entrée de l’église St.James, où avait lieu la conférence.

«L’Occident n’est pas le seul responsable : les dictatures et les sociétés arabes sont aussi coupables des maux qui déchirent le monde musulman.» – Tariq Ramadan, professeur d’études islamiques contemporaines à l’université d’Oxford

Dénonçant le discours médiatique et politique voulant qu’un choc de civilisations oppose l’Occident et le monde musulman à l’heure de la mondialisation, M. Ramadan a appelé à recentrer le débat autour des enjeux économiques et géo-stratégiques qui sous-tendent les conflits qui enflamment le Moyen-Orient – et dont les retours de flamme se sont fait sentir jusqu’à New York et Paris, selon lui.

«Le discours de [George W.] Bush, en 2001, est semblable à celui de [François] Hollande, en 2015 : ceux qui nous attaquent s’en prennent à nos valeurs et à nos modes de vie, a comparé M. Ramadan. De la même façon, dans le monde musulman, un autre discours rend l’Occident responsable de tous les maux qui l’affligent, parce que “l’Occident n’aime pas l’Islam et refuse ce que nous sommes”. Il faut combattre ces discours, qui ne sont qu’une distraction par rapport aux véritables enjeux politiques.»

Environ 1500 personnes ont assisté à sa conférence lundi soir.

Selon M. Ramadan, les débats entourant le port du niqab ou l’incompatibilité de l’Islam avec les démocraties occidentales occultent le rôle joué par la politique extérieure occidentale dans l’essor du terrorisme dans le monde.

«Chaque fois qu’il y a un attentat, c’est l’extrémisme [des terroristes] qui est en cause, jamais nos politiques extérieures, a-t-il dénoncé. Or, la déstabilisation du Moyen-Orient sert très bien la sécurité d’Israël», a ajouté le conférencier, dénonçant l’arrogance de l’État hébreu et  les «diktats» qu’il impose, selon lui, à la région.

M. Ramadan a également fustigé le double standard qui règne en Occident, selon lui, quant à l’importance accordée aux victimes du terrorisme.
«Ce que vous voyez sur vos écrans de télé, c’est la déshumanisation d’une partie du monde», a-t-il indiqué, jugeant qu’il fallait «aimer chaque être humain» et éprouver pour chacun une même empathie universelle, en dépit des religions et des couleurs, sans accorder plus d’importance à la mort des «nôtres» qu’à celle des «autres».

Le prix de l’intolérance
«Nos politiques étrangères créent des légions de réfugiés, et nos sociétés développent des discours inacceptables quant à eux, les associant aux terroristes que nous bombardons et qu’ils tentent de fuir, s’est insurgé lundi Tariq Ramadan devant un auditoire de 1 500 personnes,
majoritairement des jeunes. Nous allons tous payer le prix de cette intolérance.»

M. Ramadan a par ailleurs invité le monde musulman à opposer une condamnation ferme et sans appel aux groupes comme État islamique. «Il n’y a pas de discussions à y avoir, croit-il. La facilité de ces gens à lire “Je peux tuer” est effrayante.»