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Le tourisme meurtri en Tunisie

OLYMPUS DIGITAL CAMERA Photo: Andréanne Chevalier/Métro

La Tunisie a dernièrement été frappée, pour la troisième fois cette année, par des attentats terroristes revendiqués par État islamique. Ce petit pays du Maghreb, niché entre l’Algérie et la Libye, souffrait déjà avant cet événement d’un déclin marqué de son industrie du tourisme. La relance risque maintenant d’être encore plus difficile. État des lieux après une courte visite sur place.

«Je pense changer de métier parce qu’il n’y a pas de travail. Regarde, les calèches sont vides.» Nous sommes à Yasmine Hammamet, une station balnéaire de Tunisie. Mejid, le chauffeur de bus qui accompagne le groupe dans lequel Métro avait une place au début novembre, juste avant le troisième attentat, nous confie que les temps sont durs. Ils le sont depuis la révolution en 2011, mais la blessure est pire encore cette année, à cause des attaques qui ont touché l’industrie touristique en plein cœur. Mejid pratique son métier depuis 15 ans. Dans sa famille, ils sont cinq frères. Lui seul travaille.
Ce que Mejid nous a confié, nous l’avons entendu de la part d’autres chauffeurs, qu’ils conduisent des calèches ou des 4×4. Notre guide, Mohamed, qui est dans le métier depuis 11 ans, tient le même discours. Il vit chez ses parents, avec son épouse, qui travaille dans l’industrie pharmaceutique. Heureusement, raconte Mohamed, car ils n’arriveraient pas avec son seul salaire.

Métro constate que le désert a atteint les hôtels et les rues. Au figuré, bien sûr. Très peu de touristes s’y font voir. Plusieurs établissements hôteliers sont complètement fermés. Dans son édition du 1er septembre dernier, le magazine Tourisme Info, une publication tunisienne, rapportait un taux d’occupation maximal de 27,9 % des nuitées entre janvier et juillet.

Quelques jours après l’attentat de Sousse en juin, l’agence de presse Reuters rapportait que la ministre du Tourisme de Tunisie, Salma Elloumi Rekik, s’attendait à des pertes de 515 M$, soit le quart des revenus touristiques annuels. L’industrie du tourisme en Tunisie représente 7 % du PIB. Ce sont 400 000 emplois directs et indirects, rapporte quant à lui Riadh Dkhili, directeur des marchés touristiques de l’Office national du tourisme tunisien (ONTT), au cours d’une rencontre à l’ambassade du Canada à Tunis. Cela, dans un pays où il n’y a pas d’aide sociale lorsque les temps sont difficiles, fait remarquer Mohamed.

M. Dkhili est visiblement énervé du sort réservé à son pays. Il en a contre les avertissements aux voyageurs, tels que ceux émis par le gouvernement du Canada, et qui mentionnent aux ressortissants (quelque 10 000 Canadiens par année) de faire preuve d’une grande prudence pendant un voyage en Tunisie, tout en spécifiant certaines zones. Le niveau d’alerte n’a par ailleurs pas changé après le troisième attentat en huit mois. «Ces restrictions sont démesurées par rapport à la réalité, martèle M. Dkhili. Sousse, c’était le 11 septembre tunisien. Nous sommes une jeune démocratie. Nous apprenons tous les jours.» Mohamed, notre guide, trouve lui aussi que les zones à risques sont exagérées. «Je fais tout le temps des tours là-bas. Il y a des restrictions à des endroits où il ne se passe rien!»

«Les Tunisiens forment un peuple ouvert, sans culture de violence. C’est le voisinage qui pose problème», souligne la ministre Rekik au cours d’une brève rencontre, le 8 novembre, à Tozeur. Les rues de cette ville, située près de la frontière algérienne, seront toutes dotées de caméras de surveillance sous peu. «La Tunisie est un pays touristique par excellence. Le peuple tunisien est puni», observe la ministre.

Trois attentats terroristes ont touché la Tunisie en 2015

  • 18 mars : au musée du Bardo, à Tunis. Bilan : 22 morts (dont 21 touristes de plusieurs nationalités) et 45 blessés.
  • 26 juin : À l’hôtel Riu Imperial Marhaba et sur sa plage, dans le port d’El-Kantaoui, près de Sousse. Bilan : 38 morts (dont 30 touristes britanniques) et 39 blessés.
  • 24 novembre : Un bus de la garde présidentielle, à Tunis, est attaqué, pendant les Journées cinématographiques de Carthage, un festival de cinéma. Bilan : 13 morts et 20 blessés.

Métro s’est rendu en Tunisie à l’invitation de l’ONTT et de l’Association canadienne des agences de voyages (ACTA)

Une industrie touristique chancelante face à la menace terroriste

MONDE françois bédard UQAM

Métro s’est entretenu avec François Bédard, professeur au Département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM, dont il est aussi le directeur.

Est-ce que vous croyez que les endroits qui ont subi des attaques terroristes sont égaux quant aux conséquences sur leur industrie touristique? Prenons Paris, par exemple, par rapport à la Tunisie?
Ça dépend de la force des attaques et du terrorisme, et surtout de l’écho que les médias internationaux leur donnent. Il s’agit aussi de voir la fréquence de ces attaques et la tolérance que peuvent avoir les voyageurs. Il faut dire que beaucoup de touristes se rendent dans des pays comme la Tunisie avec des tours opérateurs (TO). Si les TO décident que ça devient trop dangereux, les gens n’ont même plus accès à ces destinations. Ce n’est pas comme à Paris, par exemple, à Londres ou à New York. Là, vous avez un grand volume de touristes individuels, ce qui fait que les décisions sont prises sur une base individuelle.

Ça va reprendre à Paris. Mais c’est sûr que pour la Tunisie, avec la répétition des attaques et parce que celles-ci se suivent de trop près, ça risque d’être un peu plus long.

Parmi les facteurs qui influencent la résilience d’une industrie touristique, il y a donc le type de touristes?
Oui. Je pense que des destinations qui sont basées sur le tourisme individuel risquent d’être relancées plus rapidement que des destinations qui sont couvertes par des grands tours opérateurs, parce que tous les individus n’ont pas la même sensibilité au niveau de risque.
Il y a aussi les gouvernements qui jouent un rôle, qui déterminent quelles mesures seront prises pour recréer le sentiment de sécurité.

Ensuite, dans certains pays, il y a une proportion très importante de tourisme intérieur. Habituellement, les habitants du pays se rendent compte de la réalité, que ça c’est sécurisé, et donc qu’ils peuvent recommencer à voyager à l’intérieur de leur pays. Ça aide à relancer l’activité touristique.

Est-ce que ça dépend aussi des attraits? Par exemple, tellement de gens rêvent d’aller à Paris…
C’est un autre facteur. Si la destination n’a pas quelque chose d’unique ou s’il y a d’autres destinations qui peuvent facilement être substituées, c’est plus fragile. Si quelqu’un va en Tunisie uniquement pour les plages, il risque fort de changer de destination, parce que des plages, il y en a beaucoup dans le monde. Si tu vas à Tunis parce que tu es très intéressé par la culture tunisienne, par les Tunisiens; ça, tu le retrouves juste là.

Les voyageurs individuels se situent plus à ce niveau. Pour les voyages de groupe, le tour opérateur va se dire qu’il faut continuer à faire des affaires, alors il trouvera une destination de substitution au soleil de la Tunisie. Donc si les touristes sont attirés par un pays comme la Tunisie d’abord et avant tout pour la plage, il y a un niveau de vulnérabilité très grand.

«Chaque fois qu’il y a un acte terroriste, il y a un temps d’arrêt. Mais l’expérience a démontré que ça reprend. L’industrie touristique est extrêmement résiliente.» -François Bédard, professeur au département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM

Mesures sécuritaires mises en place
Après les attentats de Sousse, le ministère du Tourisme et de l’Artisanat de Tunisie a pris des mesures pour assurer la sécurité des voyageurs. Notamment :

  • Des unités de la police touristique armées et opérationnelles sont déployées à l’intérieur et à l’extérieur des zones et des unités touristiques depuis le 1er juillet 2015.
  • La police touristique a été renforcée de mille nouveaux agents de sécurité.
  • Des unités de police assurent désormais la sécurité des sites culturels et archéologiques.
  • Un accompagnement sécuritaire est dorénavant assuré aux circuits et aux excursions touristiques organisés par les agences de voyages et validés par l’administration du tourisme.
  • Depuis l’attentat du 24 novembre dernier, l’ONTT ne rapporte aucune nouvelle consigne de sécurité.

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