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Super mardi: l’ascension de Trump sera surveillée

Republican presidential candidate Donald Trump gives a thumbs up during a South Carolina Republican primary night event in Spartanburg, S.C., Saturday, Feb. 20, 2016. Trump claimed a big victory in South Carolina's Republican primary Saturday, deepening his hold on the party's presidential field as the contest moved into the South. (AP Photo/Paul Sancya) Photo: The Associated Press

MONTRÉAL – Les experts politiques demeurent perplexes face à la montée apparemment irrésistible de Donald Trump et, s’ils sont résignés à le voir prendre un élan qui devrait le mener à la direction du Parti républicain lors du «Super mardi», ils le voient en même temps comme le talon d’Achille de ce parti lors de l’élection présidentielle de novembre.

Quoi qu’il en soit, ils admettent sans détour que personne ne l’avait vu venir.

«Je dois vous avouer que je suis complètement mystifiée et, heureusement, je ne suis pas la seule», reconnaît candidement la politologue spécialiste des États-Unis Karine Prémont, de l’Université de Sherbrooke, en entrevue avec La Presse Canadienne.

Elle souligne que cette question a justement été au coeur d’un colloque sur la politique américaine tenu la semaine dernière à Montréal en présence d’experts canadiens, mais aussi américains et européens.

«On s’est tous demandé: mais comment se fait-il qu’on n’ait pas réussi à comprendre ce phénomène-là avant? Comment se fait-il que l’on n’ait pas réussi à comprendre l’importance de cette candidature et pourquoi il est encore là?»

Le directeur de l’Observatoire sur les États-Unis à la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM, Frédérick Gagnon, ne s’en cache pas non plus.

«On est très surpris et on n’est pas les seuls. La plupart des observateurs américains, les plus grands experts des élections américaines n’avaient pas prédit ça», dit-il.

En fait, ce qui étonne n’est pas tant la présence de Donald Trump, qui s’inscrit dans une longue tradition, mais bien le fait qu’il ne se soit pas éteint comme un feu de paille.

«Habituellement, les électeurs républicains ont des petits écarts de conduite passagers. Ils peuvent se rallier autour d’une candidature un peu étrange, un peu paranormale en début de primaires, mais généralement on entend raison et on se tourne vers un candidat un peu plus ‘présidentiable’», explique-t-il.

Ras-le-bol des électeurs

Le phénomène s’explique d’abord, selon eux, par un ras-le-bol de l’électeur, une exaspération face aux politiciens traditionnels qui explique également l’étonnante performance de Bernie Sanders du côté démocrate.

«Trump fait appel aux émotions les plus primaires des gens: la colère, la frustration, explique Mme Prémont. La crise de 2009-2010 a laissé beaucoup de traces et la situation personnelle des gens stagne depuis un certain temps.

«Dans ces circonstances, le réflexe principal c’est de blâmer quelqu’un. Pour M. Trump, c’est la faute des musulmans et des immigrants. Pour M. Sanders, c’est la faute des millionnaires», ajoute-t-elle.

La grogne des électeurs américains vise aussi les politiciens, que l’on voit comme étant sinon responsables de tous les maux, à tout le moins comme étant incapables ou n’ayant pas la volonté de les régler ou encore à la solde de ceux qui tirent les ficelles à l’arrière-plan pour maintenir leur position de privilège.

«Les candidats anti-establishment ont la cote cette année en raison de la colère de l’électorat, en raison de cette fatigue à l’égard des politiciens de carrière, note Frédérick Gagnon. Donald Trump incarne l’alternative.»

«Une des choses qui fonctionnent bien dans le cas de Trump, c’est qu’il dit qu’il est indépendant de fortune, qu’il n’a pas besoin de prendre le pouls de la grande entreprise de Wall Street avant de prendre ses décisions. D’ailleurs, Bernie Sanders martèle un peu cette idée quand il critique Mme Clinton», ajoute-t-il.

Cependant, la vague sur laquelle surfe le milliardaire ne porte pas le sénateur du Vermont aussi haut et celui-ci devrait voir son rêve présidentiel s’éteindre tranquillement ce mardi au profit de Hillary Clinton, selon lui.

«Elle ne gagnera pas officiellement l’investiture mardi, mais si la tendance se maintient, il sera difficile pour M. Sanders de convaincre qu’il peut continuer longtemps à faire compétition à Mme Clinton», dit-il.

Trump et les médias

Une autre explication de la poussée de Donald Trump repose sur l’attrait quasi-hypnotique qu’il exerce sur les médias en raison de ses frasques et déclarations spectaculaires, peu importe leur véracité. Les médias sont incapables de détourner le regard de cet homme-spectacle, et ce, même lorsqu’ils tentent d’exposer les contradictions entre ses déclarations passées et actuelles et entre son discours et la vérité.

«C’est la raison pour laquelle Trump n’a presque pas eu à dépenser de sa fortune personnelle, n’a pas beaucoup investi dans les publicités télévisées non plus, souligne Frédérick Gagnon. Il y a une publicité télévisée à propos de Trump qui dure depuis juin et elle ne lui coûte rien.»

Cette montée de Donald Trump pourrait toutefois avoir un effet boomerang et s’avérer en bout de ligne le pire cauchemar des républicains.

«Trump, actuellement, va chercher 35 pour cent des électeurs républicains, explique Karine Prémont. Sera-t-il capable d’aller chercher 50 pour cent de tous les électeurs? C’est une autre paire de manches parce que les républicains sont 30 pour cent de l’électorat. Donc, 30 pour cent de 35 pour cent, c’est n’est pas grand-chose…»

Plus encore, note la politologue, qui est également membre de l’Observatoire sur les États-Unis, la candidature de Donald Trump est extrêmement polarisante au sein même du Parti républicain, dont une forte proportion des membres n’en veulent à aucun prix.

«Les sondages et les analyses indiquent que Trump est le candidat républicain le moins apte à remporter une élection contre Hillary Clinton, parce que c’est lui qui réussit à susciter le plus d’émotions négatives contre lui, tant chez les républicains que chez les démocrates, fait-elle valoir. Les stratèges de Mme Clinton lui disent que ce sera plus facile de gagner s’ils ont Trump devant eux.»

Président Trump?

Et si, malgré tout, ce qui était une fiction impensable il y a quelques mois devait se matérialiser? Si, contre toute logique et toute attente, Donald Trump devenait l’homme le plus puissant du monde?

«Mon Dieu! s’exclame Mme Prémont en éclatant de rire lorsqu’on lui pose la question. Je ne peux pas imaginer ce scénario. Je ne peux pas imaginer travailler là-dessus pendant quatre ans!»

Cependant, en bonne analyste, elle ne fuit pas l’hypothèse: «Au final, ça va dépendre de qui il s’entoure. La présidence est souvent définie par l’entourage, par les compétences qu’il est capable d’aller chercher.»

Or, ça ne s’annonce pas tellement bien de ce côté, selon elle, avec le récent appui inattendu du gouverneur de l’État du New Jersey, Chris Christie, que plusieurs soupçonnent d’avoir bradé son ralliement en échange d’une promesse de candidature à la vice-présidence.

«Je ne suis pas certaine que ce soit un bon présage pour une présidence de Trump parce que M. Chrsitie a beaucoup de squelettes dans le placard. Je ne peux pas dire que je suis très optimiste face à une présidence Trump parce qu’on ne peut pas diriger les États-Unis comme une entreprise et, quand ça va mal, faire faillite et recommencer», dit-elle.

«Et sur le plan des relations internationales, ce serait une catastrophe», laisse-t-elle tomber avec dépit, un son de cloche qui trouve écho chez son collègue Frédérick Gagnon.

«En ce moment, Trump ne se comporte pas comme un président éventuel. Il se comporte comme Donald Trump. S’il continue à tenir ce genre de discours, ce genre de propos, je suis très inquiet, honnêtement, sur le plan diplomatique, quant au genre de situation ça pourrait engendrer», dit-il.

«Sur le plan diplomatique, à mon avis, ce serait extrêmement désastreux à l’international. Trump nuirait beaucoup à l’image du pays, c’est clair», affirme-t-il à son tour.

Quant aux affaires domestiques, il entrevoit une présidence paralysée et conflictuelle.

«Il serait président dans un pays où le système politique ne permet pas facilement de grandes réformes. Le pouvoir y est extrêmement décentralisé et Trump ne pourrait pas faire ce qu’il veut parce qu’il devrait composer avec un Congrès qui serait peut-être républicain, mais constitué de républicains qui détestent Trump. Les querelles entre Trump et le congrès seraient constantes», dit-il.

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