Quelle triste journée

Après deux heures d’une course folle à travers les rues bondées de Montréal, j’ai poussé un grand ouf de soulagement. Dans cet habituel embouteillage monstre, j’ai dû me surpasser pour arriver indemne à l’aréna.

Le temps de lacer les patins de mes deux filles et de les aider à mettre leurs casques roses, les enfants étaient déjà sur la patinoire. Sous le regard attentif d’une dizaine d’entraîneurs et d’assistants, une trentaine d’enfants, filles et garçons de 5 à 10 ans, patinaient à la file indienne. Les plus petits, quant à eux, jouaient avec insouciance à quatre pattes au centre de la glace.

Soulagé d’être arrivé à temps, j’ai choisi une place à l’écart. Sur les gradins, je me suis permis un balayage visuel des lieux. Une assistance bigarrée de parents d’origines diverses suivait des yeux ses bouts de chou. Devant ce tableau arc-en-ciel, je me suis dit : «Mais qui pourrait deviner le pays d’origine de cette foule juste à la vue de cette image d’ensemble?»

D’habitude, après le début de la pratique de patinage artistique, je plonge instantanément dans ma lecture du jour, à finir impérativement. Mais pas cette fois. Je n’avais le goût de rien, sauf de regarder inlassablement mes filles exécuter leurs pirouettes, s’amuser, danser en groupe, tomber et se relever comme si de rien n’était.

Les autres parents avaient eux aussi changé d’habitudes. Si certains profitent généralement de cette occasion hebdomadaire pour potiner ou placoter alors que d’autres plongent dans leurs livres, leurs tablettes ou leurs téléphones intelligents, ce n’était pas le cas ce soir-là.

En cette fin de journée, l’ambiance était différente. Dans une atmosphère lourde, le verbiage, les lectures et les autres compagnons électroniques se sont effacés. Les gens avaient l’air abasourdis à cause des deux tragédies qui venaient de secouer le pays.

C’était mercredi dernier. Une journée aussi longue que pesante. Cela faisait 48 heures que tout le pays était plongé dans un désarroi total, après les attentats de Saint-Jean-sur-Richelieu et d’Ottawa.

En contemplant les parents réunis en petits groupes, j’ai eu cette pensée qui donnerait la chair de poule à quiconque : dire qu’au même moment où nous profitions de nos enfants, au moins quatre familles éplorées, celles des deux soldats fauchés injustement et celles de leurs deux bourreaux, étaient ravagées par l’horreur de la perte d’un enfant.

Cette journée-là, j’ai arrêté de travailler et boycotté les nouvelles en continu pour ne m’occuper que des miens. J’étais détaché et amer devant cet humain qui s’oublie, car, tout au début, nous n’étions qu’une seule et même famille. Quelle triste journée!

Les opinions exprimées dans cette tribune ne sont pas nécessairement celles de Métro.

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