Avant la culture

J’étais cloîtré dans mon semi-sous-sol pourri, un taudis indigne d’un logement du XXIe siècle, ni de la plus grande ville francophone d’Amérique du Nord.

À mes premiers jours dans ma ville d’adoption, les mauvaises nouvelles se sont accumulées, et l’horizon semblait morose. C’était très dur pour mon moral et il m’était facile de broyer du noir.

Un matin, je me suis regardé dans le miroir et mon regard m’a terrifié. Il fallait que je trouve une façon de l’enregistrer avec son émotion, celle de celui qui quitte son pays d’origine pour un ailleurs fantasmé et qui frappe le mur de l’adversité.

Ce premier regard d’un étranger malheureux dans son sous-sol pourri ne m’a jamais quitté. Il m’a mis dans la peau du premier colon français qui a accosté sur le rivage d’un autre monde inconnu, parfois hostile.

Ce jour-là, malgré moi, je me suis mis à imaginer le parcours de ce premier colon dont le voyage a été un calvaire, des semaines d’errance dans l’océan sans aucune garantie d’accoster en un seul morceau, avec des compagnons de voyage décimés par des maladies éradiquées depuis.

Ce jour-là, je me suis demandé comment cet être a été accueilli par les autochtones. Comment a-t-il réussi à communiquer avec eux? A-t-il eu peur? A-t-il été victime de préjugés racistes? A-t-il été pestiféré durant ses premiers jours d’installation au point de détester son Nouveau Monde et de vouloir le quitter?

À son époque, il n’y avait ni agents du ministère de l’Immigration pour l’accueillir aux frontières ni structures d’accueil pour soulager ses craintes. A-t-il été laissé pour compte? A-t-il eu peur de sortir dans la pénombre? Comment a-t-il construit sa première demeure pour fonder une famille?

Comment lui et ses semblables ont-ils défriché la terre, bâti des routes, des villes, mis en place les fondements de ce qui allait devenir «notre» Québec?

Ce regard reflété par le miroir de ma salle de bain vétuste, sale et inhumaine, ce regard-là, c’est ce qui nous unit, nous les Québécois. Quelle que soit notre origine, on a eu, sinon un de nos aïeux a eu, ce même regard rempli de crainte, mais aussi de fierté, car nous voulions refaire notre vie «en maudit». Ce regard-là est un mélange de peur de l’inconnu, mais aussi d’envie de tenter le coup. Notre chance.

Avant la parole exprimée par une langue, il y a l’émotion. Alors, qui que vous soyez, quand vous croisez le regard d’un nouvel arrivant, pensez à vos ancêtres! C’est notre tronc commun. C’est ce qui nous unit, avant la culture!

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