Les chevaliers noirs

Mercredi, je quitte mon nid temporaire. Pendant le mois d’avril, j’ai habité un bloc appartements tout inclus. Électricité, meubles, WiFi, voisins qui crient, odeur de pot, vraiment tout inclus. Comme tout bon bloc appartements, il y vit un chevalier noir, une sentinelle, un gardien silencieux; un concierge.

Les concierges, héros en pantalons gris armés d’énormes trousseaux de clés. Ils sont les hommes à tout faire, les hommes outils. À son plus primaire, la femme est objet, à son plus primaire, l’homme est outil. Sois belle et tais-toi, soulève et tais-toi. Ils courent partout, ramassent, raboutent, torchent, remplissent, vident, lèvent, tassent, achètent, jettent. Entre celui qui les paie et ceux qui demandent leurs services, ils ont beaucoup de patrons, mais très peu de reconnaissance. C’est toujours de leur faute, rarement grâce à eux, ou à elles. Je ne vous oublie pas, mesdames concierges.

On en a tous eu un à l’école, on riait souvent de lui : «Jette ça à terre, on s’en fout, ça va faire d’la job au concierge, y va être content.» Ce qu’on est con quand on est jeune. Je me souviens que le concierge à mon école secondaire devait, après chaque midi, nettoyer des taches de sang sur les tables de la cafétéria. On jouait à un jeu avec des vingt-cinq sous où le perdant mettait son poing sur la table et son opposant faisait glisser de toutes ses forces la pièce de monnaie sur ses jointures. Comme j’ai dit, ce qu’on est con quand on est jeune. En fait, on est pas con, on est juste… jeune. Bref, à chaque midi, ce bon concierge nettoyait nos scènes de crime, sans jamais dire un mot. Aujourd’hui je lui dis merci et… désolé.

J’ai été moi-même concierge un bout de temps. Job à temps partiel une fin de semaine sur deux dans un hôpital. En fait, je ne l’ai pas fait assez longtemps et souvent pour considérer avoir été concierge. J’ai fait, mais je n’ai pas été. Pour avoir le droit de s’identifier, de s’approprier une pratique, il faut y mettre le temps et l’énergie. Bref, de cet angle-là, j’ai autant été concierge que joueur de poker, boxeur et gars à ses affaires. Mais, j’ai goûté au fruit; à l’odeur de moppe et de papier brun. J’ai goûté au service invisible : sois là, mais ne dérange pas. J’ai ramassé de la pisse et d’autres substances… Qu’est-ce tu veux, des fois, les toilettes sont trois pas trop loin.

Bref, dans ma vie, j’ai été témoin de plusieurs concierges, écoles, jobs, blocs. J’ai moi-même goûté à cette noble tâche. Je prends le temps et ma tribune pour souligner votre travail. Vous opérez dans l’ombre, vous rendez nos environnements de vie et de travail viables. Ce n’est ni simple ni facile, et surtout, ce n’est pas rien. Merci.

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