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Les chaussures de Narcisse

Chaque mardi, la journaliste et animatrice Julie Laferrière et l’humoriste, animateur et illustrateur Pierre Brassard posent un regard original sur les usagers du transport en commun.

Station Préfontaine, direction Angrignon. Nous sommes lundi, il est 9h40.

L’heure de pointe matinale est passée, et le quai est clairsemé. La dizaine de passagers que nous sommes montons doucement à bord du wagon. Les portes se referment, et c’est à ce moment que j’aperçois un jeune homme.

Le spécimen a la vingtaine. Une chevelure abondante et bien coupée trône sur sa tête qu’il penche à droite, puis à gauche, pour détendre son cou long et fin. Il a d’ailleurs noué autour de ce dernier une écharpe de cachemire bleu minuit. Une veste de cuir brun cacao 70% parfaitement coupée protège, tel un écrin, le haut de son corps. Alors que le bas, lui, est enfermé dans un jeans des plus seyants et assorti au foulard.

Il en jette, ce garçon, avec ses airs de dandy moderne.

Et ce qui est comique, c’est que lui aussi semble trouver qu’il est pas mal beau bonhomme. Il fait des mimiques en admirant le reflet que lui renvoie la vitre de la porte dans laquelle il se mire depuis plusieurs secondes. Il coiffe ses cheveux avec ses doigts délicats. Lisse ses sourcils et se sourit sincèrement. La bonne humeur gagne son visage. Un ravissement qui pourrait s’expliquer par le fait qu’il semble persuadé que la journée sera belle puisqu’il la passera en si agréable compagnie, c’est à dire avec lui-même.

Je souris aussi en regardant l’homme paon faire sa roue. Il a oublié, de toute évidence, qu’il n’est pas seul. Comme lors de ces moments où en public, on baye aux corneilles très bruyamment, se croyant à l’abri du regard et des oreilles des autres. Prenant conscience de notre manque de civisme et de jugement, on rougit en s’excusant.

Ici, notre Narcisse aura eu le rouge aux joues au moment où une jeune fille vient se placer volontairement entre lui et la fenêtre, en lui disant d’un ton franchement moqueur: «Désolée d’interrompre votre tête-à-tête.»

Le jeune homme baisse le regard jusqu’au sol, un peu honteux, puis se sent rapidement ragaillardi, en réalisant qu’il porte aussi de magnifiques chaussures.

Finalement, c’est assez simple de couper l’homme de son image, mais un peu plus compliqué de faire disparaître sa vanité.

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