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Ciel ancien

Chaque mardi, la journaliste et animatrice Julie Laferrière et l’humoriste, animateur et illustrateur Pierre Brassard posent un regard original sur les usagers du transport en commun.

Ligne 24, direction Est. Mercredi, 15 h 10.

Je regarde par la fenêtre ce ciel obstinément bleu qui surplombe le centre-ville et suis si reconnaissante de cet été qui n’en finit plus d’être beau.

Je tourne le regard vers les passagers qui m’entourent, pour voir si eux aussi sont en train de faire le plein de temps clément, afin de pouvoir affronter l’hiver. Je sais que ce dernier n’est pas à nos portes, mais il vaut mieux prévenir, car souvent il arrive brusquement, sans frapper avant d’entrer.

C’est alors que j’entends deux hommes qui discutent. En fait, ils font connaissance. Le premier est très beau, a la jeune quarantaine, porte une veste design à l’effigie d’une équipe de sport quelconque. L’autre, un peu moins flamboyant, l’écoute attentivement.

Je comprends que le «sportif design» est chauffeur de taxi. Et qu’il adore prendre le bus quand il ne travaille pas. Parce que l’idée de conduire à Montréal lui sort un peu par les oreilles et que cet exercice lui est supportable seulement lorsqu’il est en fonction.

Il officie six jours sur sept. Sept mois sur douze. «Et que faites-vous le reste de l’année?» ose lui demander son interlocuteur.

«Je vais en Grèce.» «En vacances?» Le chauffeur de taxi explique que oui, en quelque sorte; pour lui, ne pas être pris dans le trafic de Montréal, c’est en soi des vacances. Cela dit, il ne retourne pas dans le pays de son enfance pour se faire dorer la bedaine à Myconos, mais plutôt pour parfaire un savoir qu’il aiguise depuis des années, soit l’étude des textes grecs anciens.
Les yeux du monsieur moins flamboyant s’illuminent, alors que les miens s’écarquillent.

Ce n’est quand même pas plate, un chauffeur de taxi qui aime prendre le bus et qui se plonge de décembre à avril dans des écrits qui datent du IXe au IVe siècle av. J.-C.

Je dois descendre alors que leur discussion se poursuit. Il m’en coûte de ne pas savoir ce qui, dans ces écrits, passionne tant cet homme. Lire L’Odyssée dans le texte m’apparaît spectaculaire.

Parce que nous sommes si loin de cette langue, à quelque trois mille ans de distance de cette époque. Et au coin de Sherbrooke et de Bleury, à des milliers de kilomètres de la Grèce. Et je pense qu’Homère est évoqué ici aujourd’hui et qu’il le sera certainement encore dans trois millénaires si l’homme, lui, est encore là pour en parler.

Le bus s’éloigne, et je marche sous le ciel, toujours aussi bleu. Celui-là même sous lequel pensait Homère.

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