La vieille canne

Chaque mardi, la journaliste et animatrice Julie Laferrière et l’humoriste, animateur et illustrateur Pierre Brassard posent un regard original sur les usagers du transport en commun.

Ligne 18 – Beaubien, direction Ouest. Nous sommes jeudi, il est 16h40.

Son visage est basané et buriné. Sa main, qui tient celle de son petit-fils, est sillonnée de mille microchemins qui parcourent ses doigts et s’échappent vers son poignet. On devine qu’ils poursuivent leur cours tout au long de son bras.

Audit poignet est attachée une montre Timex au cadran blanc et au bracelet noir de cuir souple. Un modèle classique, donc indémodable.

L’homme est âgé, mais pas vieux. Parce qu’il y a une différence importante entre l’âge et la vieillesse, pense-t-il. Et c’est ce qu’il est sur le point d’expliquer à Lucas, neuf ans.

Combien d’années les séparent? Soixante-dix ans? Peut-être même soixante-quinze. Malgré ce temps, la ressemblance entre eux demeure frappante.

Le petit est aussi blond qu’a dû l’être son grand-père dont la tignasse, maintenant argentée, est drue mais disciplinée.

Leurs joues sont équipées de fossettes, leurs sourires sont sincères et leurs yeux à tous les deux sont noisette. Ceux de l’aïeul sont encadrés de lunettes en écaille de tortue. Le petit, qui est en troisième année, a dit à sa mère récemment que les inscriptions au tableau lui semblaient un peu embrouillées.

Le grand-père a coincé entre ses genoux, afin de la retenir, une très belle canne. Un objet ancien et raffiné qui appartenait à son père. Faite de bois de rose et munie d’un pommeau en ivoire travaillé, elle est usée, mais bien solide.

Lucas caresse ce pommeau poli par l’usure et observe les nombreux endroits où le vernis a disparu sur le bois auburn. «Elle est vraiment très, très vieille, ta canne, hein?» de dire le petit.

Le grand-père, fier, répond avec une tendre autorité que l’objet, en effet, est ancien.

Que cette canne a de l’histoire et qu’il préfère cette perspective plutôt que de dire vulgairement qu’elle est «vieille». Le petit est stimulé par cette nuance et rétorque tout de go: «Et toi aussi, alors, tu es historique?»

Le grand-père regarde sa descendance avec bienveillance en lui confirmant, non sans un soupçon d’orgueil froissé, que «c’est exactement ça!»