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Hors du commun : Un prince

Chaque semaine, la journaliste et animatrice Julie Laferrière et l’humoriste, animateur et illustrateur Pierre Brassard posent un regard original sur les usagers du transport en commun.

Ligne 51, direction est. Nous sommes jeudi, il est 12 h 15.

Le soleil est éblouissant, et l’air, presque croustillant tant il fait froid; ce qui donne l’impression qu’on pourrait prendre une bouchée de vide et qu’il craquerait sous nos dents. Nous sommes trois femmes en ligne à espérer que le bus arrive.

L’une a dans la cinquantaine et croise les bras, les tenant bien serrés sur son manteau jaune orange pour emprisonner la chaleur. L’autre dame, un peu plus âgée, est accompagnée d’un sac à roulettes qui renferme ses emplettes.

Je suis la dernière en ligne et je sautille sur place, car mes bottes n’ont vraiment pas pour principale qualité de tenir les pieds au chaud. Ce qui est franchement désolant.

Quand le bus arrive, nous nous y engouffrons à la vitesse d’un troupeau de gazelles affolées. Finalement au chaud, nous réalisons qu’un jeune homme en fauteuil roulant n’a jamais eu le temps d’atteindre la porte puisque notre élan déchaîné a complètement court-circuité le sien.

S’en suit alors un ballet laborieux. La dame au manteau orange décide d’avancer sauvagement, mais se retrouve bientôt dans un cul-de-sac, car le bus est plein.

Elle barre ainsi complètement le chemin au jeune homme qui tentait de gagner un peu de terrain, mais qui demeure bloqué par ce cône humain. Plusieurs usagers se mettent de la partie. Nous sommes en pleine création collective désorganisée. Un homme conseille à la dame orangée de reculer, alors qu’un autre indique à la femme au sac à roulettes de descendre momentanément afin de libérer le passage.

Une demoiselle élancée tente à son tour d’aider le jeune homme en défrichant la jungle humaine qui se dresse devant elle.

Pendant ce temps, le chauffeur essaie de reprendre le contrôle de son équipage. Sans grand succès.

Ce qui est remarquable dans ce capharnaüm, c’est lui: ce jeune homme en fauteuil roulant. Il est d’une grande élégance. Il n’aura jamais perdu patience alors qu’il aurait été franchement en droit de revendiquer son droit de passage haut et fort, en nous rabrouant même un peu au passage, nous les énervées. Pendant tout ce temps, il aura affiché un sourire lumineux et un calme inébranlable.

Il s’est éloigné, princier, nous laissant toutes les trois en compagnie de nos comportements peu reluisants et avec le sentiment honteux d’être un peu comme les vilaines belles-sœurs d’un quelconque conte de fées.

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