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Hors du commun: L’odeur des clémentines

Chaque semaine, la journaliste et animatrice Julie Laferrière et l’humoriste, animateur et illustrateur Pierre Brassard posent un regard original sur les usagers du transport en commun.

Ligne orange, direction Montmorency. Nous sommes jeudi, il est 19h50.

On dirait que Montréal a un vilain rhume. Que son nez est congestionné par toute la neige non déblayée et les travaux qui s’étirent. Elle tousse aussi, et sa peau d’asphalte est crevassée; gercée par les trop grands froids. Elle n’est pas au sommet de sa gloire en ce mois de janvier un peu cruel.

Quand on aime sa ville comme je l’aime, on éprouve de l’empathie pour son état. Et comme c’est le cas pour ceux que j’estime, je ne veux surtout pas la prendre en pitié.

C’est pourquoi, ce jeudi-là, je me suis retrouvée dans le Vieux-Montréal.

J’utilise cette stratégie depuis longtemps, quand j’ai un litige avec mon environnement urbain. Comme je me sens souvent bien impuissante face aux problèmes qui affligent la ville, et que ça me contrarie, j’opte pour une tentative de réconciliation. Cette dernière approche fonctionne assez bien. Comme si le Vieux était un cabinet de psy, et que la cité et moi étions en thérapie de couple.

Je reviens de ce quartier soulagée et souvent reconquise. Ce qui me donne du courage pour affronter la suite des choses. C’est dans cet esprit que je retourne chez moi, ce soir-là, en métro. J’entre dans le wagon et suis tout de suite transportée par une douce odeur d’agrume. C’est bien; l’aromathérapie se met aussi de la partie.

Je m’assois et aperçois l’homme qui est à l’origine du parfum de clémentines qui flotte tout autour de nous. Un colosse qui porte des pantalons de camouflage et un gros bonnet de laine noire est installé à quelque quatre mètres. Je ne peux pas voir son visage, mais distingue clairement ses grandes mains qui pèlent doucement les fruits délicats.

Je me réjouis encore quelques secondes de ce parfum à la fois enveloppant et tonifiant. Puis, l’homme se lève pour descendre.

D’un geste brutal, en totale contradiction avec le charme de son sillage, il «pitche» sur le sol toutes les pelures de ses fruits consommés. Cet homme est passé du statut d’humain raffiné à celui de barbare fini en un geste.

Je sors à mon tour, à la station suivante. Débouche sur la rue. Dans mon quartier. Les éboueurs ont ramassé les ordures. Mais il reste dans la rue plein de déchets, des rognures et des pelures.

Le Vieux-Montréal est déjà loin. Comme l’odeur des clémentines.

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