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De l’importance de CIBL

L’annonce de la mise à pied au moins temporaire des quelques employés de CIBL a fait jaser. Symptomatique, sans contredit, de l’estime portée à cette station communautaire. Simple estime? Non. Influence, également.

Parce qu’on parle ici, potentiellement, du plus grand incubateur de talents audiovisuels québécois. Les RBO, Bazzo, Dufort et Blanchet, parmi tant d’autres. Au dire de ceux-ci, l’accès au (microscopique) milieu leur aurait été pratiquement impossible sans la rampe d’accès de CIBL. Particulièrement à une époque dépourvue d’internet et
de médias sociaux.

Du reste, au-delà des principales têtes d’affiche, il demeure qu’une horde de réalisateurs, de techniciens et de scripteurs ont également fait leurs classes à même la station. Idem pour maints leaders du milieu culturel, ceux-là mêmes qui, au fil des ans, ont façonné l’univers du spectacle québécois. Un seul exemple: celui de Jacques Primeau. Embauché par la station au début des année 1980 à titre de morning man et directeur de la promotion, il rencontre un groupe de jeunes humoristes, baveux et iconoclastes assumés, faisant eux aussi leurs classes chez CIBL: Rock et Belles Oreilles. C’est ainsi que ceux qui allaient devenir le plus grand groupe comique de l’histoire du Québec (mon avis, du moins) s’adjoignent rapidement ses services de gérant. The rest is history, comme dirait l’autre.

S’enchaînent alors les succès, ceux de RBO et des autres artistes ayant confié leur carrière à Primeau, à une vitesse phénoménale. On parle, pour la petite histoire, de 7 Gémeaux Immortels, 79 Gémeaux, 28 Félix, 11 Métrostar/Artis, 3 Jutra, 1 Juno et 8 Olivier. Juste ça. S’ajoute à ceci une présidence de l’ADISQ et celle, encore en cours, du Partenariat du Quartier des spectacles. Un tel succès aurait-il pu être possible en l’absence initiale de la station communautaire? Connaissant l’homme*, possiblement. Mais disons que la chose aurait été, selon toute vraisemblance, plus ardue.

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La force contributrice de CIBL à l’essor de l’industrie semble ainsi – ou à tout le moins devrait être – acquise aux yeux de chacun. Mais il y a plus. Beaucoup plus. Parce quiconque dit «médias» dit aussi, simultanément, «démocratie». Pas certain? Pensez-y bien. Qu’est-ce que le fondement même de celle-ci, sinon la pluralité des voix? L’opinion dissidente? La critique des pouvoirs en place?** Ne souhaite-t-on pas, dans toute société démocratique, préserver l’essence du débat public et, par définition, optimiser le nombre de ses intervenants? Veut-on d’un régime où seuls deux empires médiatiques se partagent la tarte? N’y a-t-il pas là un écueil considérable?

Si ce qui suit est juste, ceci devrait l’être encore davantage quant à un média de type CIBL. Parce qu’il s’agit, quand on y pense deux secondes, de sa nature même. Encourager la dissidence et assurer une voix au chapitre à ceux et celles qui, en d’autres circonstances, en seraient privés. Par conséquent, une société qui tolère cet amenuisement des médias disponibles se projette tout droit dans un mur intraitable: celui d’une pensée quasi unique, responsable d’une vacuité démocratique inquiétante.
Puisse ainsi survivre, sans compromis, CIBL.

* Divulgation d’intérêts: les Productions Jacques K. Primeau s’occupent de mes affaires depuis juin 2017.

** Re-divulgation d’intérêts: avec les amis Pelletier, Lussier, Ducharme, Lépine-Blondeau, Laflamme, Dubé et compagnie, j’ai jadis participé à une émission politico-satirique sur les ondes de CIBL. Le fun qu’on a eu, je vous dis pas. À lire: l’article sur le site du journal Métro intitulé «C’est pas nous qui avons commencé: départ en force», publié le 3 mai 2016.

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