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Ce billet n’est pas «taste»

Mes hommages.

C’est lovée dans un fauteuil de velours de bus voyageur fendant le vent vers le Bas-du-Fleuve que je vous écris ces quelques lignes. Oh, vous m’imaginez certes coiffée d’une petite casquette de capitaine vissée vers le nord, chandail bateau noué aux épaules et bouteille de Baileys «format discret» dans la besace, le regard empli de petits projets impliquant du bateau-cigarette et des scampis aux herbes salées. Je suis plutôt coincée entre la fenêtre et un amant du plein air assoupi dans son justaucorps, et l’exquise jeune femme assise tout juste derrière moi a choisi avec clairvoyance d’allonger sa grand’ patte sur mon accoudoir droit, me permettant ainsi de profiter de l’élégance de sa socquette noircie, bien chaude et trouée au niveau du gros orteil (ÇA ARRIVE AUX MEILLEURS). Si je ne devais pas rester silencieuse-docile parmi tous ces gens qui se transportent avec moi dans un espace contigu, je hurlerais «LA DOLCE VITA!» à pleines gencives en bécotant sans retenue tous les crânes à portée de casseau.

Mais ces tout petits tiny-tiny-bikini désagréments m’importent si peu. Parce que ce qui compte vraiment, hormis les splendeurs des jeux de mots que vous êtes après tricoter pour célébrer la rupture surprise d’un jeune couple du showbiz, c’est le mot «taste». LE MOT «TASTE». Ce mot qui se love dans votre vocabulaire depuis lurette et que, ma foi, je voyais jusqu’à tout récemment déformer les muqueuses buccales des jeunes gens hip seulement. C’est que je flirte avec cet âge où j’ai reçu les écussons et les permis spécifiques pour observer les jeunes gens hip en tirant des conclusions hâtives de trentenaire remplie de certitudes. Jusqu’ici, le mot «taste» – qui sert apparemment à qualifier une collation goûteuse ou une bouchée de baloney parfaitement rissolé dans la poêlonne – ne sévissait qu’en des zones circonscrites (du moins, d’après ce que j’avais observé avec une myopie certaine).

Mais je choisis d’intervenir, maintenant, dans l’abandon de mon siège de vacancière avisée, pour que tu cesses illico de faire résonner l’infâme mot dans tes conversations de normie transi par la peur de trépasser dans son sommeil mature. Alors. Ton tartare de la Brasserie T n’est pas «taste». Ta vichyssoise n’est pas «taste». Et ta calvaire de gomme n’est pas «taste». ELLE GOÛTE LA MENTHE VERTE. Est-il possible de vivre les affaires simples sans les transformer en extrait pauvre de derrière de boîte de Sugar Crisp? Tu n’en seras pas moins dans le coup, Cécile. Je te le promets. Tu apprécies ton goûter? Superbe. Ne boude pas ton plaisir de foodie et abandonne-toi dans l’épithète sans lendemain et l’attribut racolleur. Cette vie est délicieuse. Gorgée de soleil. Relevée que le yâbe. Mais chaque fois qu’elle est taste, Bernard Pivot a une crampe aux gonades, et Mathieu Baron, un frisson à la chute des reins.

En vous remerciant de m’avoir laissée vous dire comment est-ce que c’est que vous devriez ne plus dire des affaires. Sur ce, cap sur le Bic.

La bise.

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