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Simagrées pour une rondelle

Mes hommages. J’ai étudié en publicité. Et j’ai souvenir qu’à l’époque, j’avais de grandes ambitions rédactionnelles. Oh! que j’allais en écrire, de grandes affaires. Je me voyais déjà accoucher de slogans de rince-crème et passer des nuits blanches à pondre la narration de courage de pick-ups de Dan Bigras.

Le plus sincèrement de la couenne, je croyais naïvement qu’il était possible de faire de l’art avec les mots, même si c’était pour vendre des draps contours. Le défi m’emballait comme si j’avais été Bowie dans une boutique de bas résille. Mais le projet a un peu perdu de son lustre quand j’ai constaté que mes mains ne servaient pas à noircir des calepins de brillants slogans de pharmacie, mais plutôt à fabriquer une infinie – INFINIE – quantité de saucisses. Chaque jour, qu’importe le meeting ou le produit à enfoncer dans le goitre des bonnes gens, l’usine à saucisses qu’était la prestigieuse agence où je m’échinais me pressait d’écrire simple. Simple et vite. «Ne te bâdre pas avec ça, on parle à “monsieur-madame Tout-le-monde”.» À en croire leurs paroles bercées par
un dédain double-crème, «monsieur-madame Tout-le-monde», ça avait de la misère à attacher ses souliers le matin.

Il était pourtant question de vous (de la province entière, sauf, bien entendu, les 15 créatifs oscarisés de l’agence qui, eux, appartenaient à une rare dynastie).

Les simplets coiffés d’un entonnoir, c’était vous. Vous qui paquetez votre tuba et vos palmes pour aller chez Brault & Martineau. Vous qui allez rencontrer votre banquière avec Edgar Fruitier. Et vous qui, malgré tout le mépris avec lequel on vous dépeint à la télé, persistez à prendre une festive part aux vox-pop-pubs où un comédien costumé en employé de fast-food vous demande candidement – PLUS CANDIDEMENT, S’IL-VOUS PLAÎT. VOILÀ, VOUS ÊTES ASSEZ CANDIDE – de croquer dans un burger au poulet bio élevé en liberté sur du Boys II men et de faire des thumbs up en souriant vers la caméra, les palettes pleines de friture et de surprise de se faire offrir autant par la vie.

Vous persistez à hurler «présent!» à ce focus group publicitaire, quand un élégant homme en chandail de skieur du mont Gabriel vous demande de connecter votre téléphone à la borne internet au centre de la table de conférence, une «borne internet» d’où sortent 300 fils, des câbles à «booster», une corde de Tampax et une botte de cow-boy. Gros plans sur votre panique de bon citoyen désireux de bien paraître à la tévé et, rideau! On vous présente ce rassurant SUV équipé d’une terrasse, et vous finissez par dire : «Wow, c’est une extension de mon salon, ce véhicule», parce que vous sentez que ça ferait ben plaisir au petit réalisateur qui sue.

Les pubs de vox pop se multiplient comme aux noces de Cana. De grâce, la prochaine fois qu’on vous demandera de faire des simagrées pour une rondelle d’oignons gratisse, souvenez-vous que pendant ce temps, le publicitaire sexé qui a pondu le concept dont vous êtes la farce coule un bronze dans ses sous-vêtements 14 carats en regardant vos photos de famille.

La bise.

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