Est-ce que la critique peut vivre à la télé au Québec?
Je suis le premier à me réjouir de l’ajout à la grille de ARTV d’une émission de critique culturelle. Esprit critique, piloté par Rebecca Makonnen et Marc Cassivi, s’ajoutera à l’offre de la chaîne spécialisée à l’hiver 2016, à mon plus grand bonheur. Par contre, je me pose cette question : est-ce que notre communauté artistique peut soutenir une émission critique sur les ondes et, surtout, est-ce qu’elle veut en soutenir une?
À la programmation de Radio-Canada, on nous assure que cela fait partie du mandat, même si les cotes d’écoute ne sont pas au rendez-vous. Discours noble, mais un peu sur le tard en raison de l’absence de critique culturelle à la télé depuis des lunes. J’ai peur que notre petite industrie, trop consensuelle à mon goût, chigne à l’idée de se faire critiquer par ses pairs, même s’il s’agit d’une pratique courante partout ailleurs.
La critique, et non la simple promotion à peine voilée qu’on nous sert habituellement, permet à la création artistique de se redéfinir, de se justifier d’une certaine façon. Si tout ce que l’on fait est « beau, bon et capable », la complaisance s’installe très rapidement. Le Ti-Mé Show, renouvelé pour une deuxième saison il y a quelques jours, est un bel exemple de notre industrie complaisante qui se contente de justifier ses décisions avec une colonne de chiffres dans un tableau Excel.
Bref, j’ai peur qu’on nous annonce une émission critique qui deviendra malheureusement un magazine culturel par la force des choses et le non-désir de nos artisans de voir leur travail critiqué.
C’est juste de la TV, à laquelle participait Marc Cassivi par le passé, est de plus en plus une table ronde d’observation qu’un rendez-vous critique. Sans rien enlever au travail de l’équipe, disons que les reproches envers notre télévision sont toujours nuancés, enrobés de compliments pour ne pas froisser personne, tandis que les commentaires négatifs sur la télévision américaine, par exemple, ne reçoivent pas la même dentelle dans le traitement.
Il ne s’agit ici que d’un exemple sur la même chaîne, mais le bâillon est réel sur nos ondes. Si tu veux continuer d’être invité aux partys durant lesquelles les contrats se donnent, faut pas trop montrer de dents.
Mon message à l’équipe d’Esprit critique : s’il vous plait, montrez les dents. Même si vous ne mordez pas, ça changerait drastiquement le paysage.
Mais j’ai bien peur que vos mains ne soient déjà liées, malgré toute la bonne volonté de l’excellent Fabien Cloutier à titre de « redresseur de torts » du projet.
J’ai bien hâte de voir l’émission, ceci dit. Je suis juste un poil inquiet.
