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L’art d’en mettre un petit peu trop

Le salon bleu de l'Assemblée nationale du Québec, où siègent les députés élus. Photo: Jacques Boissinot/La Presse Canadienne

Il y a quelque chose de pourri au royaume de la politique partisane. D’accord, il y a plusieurs choses de pourries. Mais cette tendance qu’ont les politiciens à vouloir faire dire à leurs adversaires des choses qu’ils n’ont pas dites, ou à les accuser de tous les maux, est particulièrement navrante.

C’est souvent le cas dans les débats (si on peut appeler une succession de questions subjectives sans réponse, un débat) à l’Assemblée nationale ou à la Chambre des communes.

Philippe Couillard nous en a donné un bon exemple la semaine dernière en « répondant » à une question sommes toutes légitime de François Legault, qui allait comme suit: “Est-ce que le premier ministre peut s’engager aujourd’hui à ce que des cours de français et des cours sur nos valeurs soient obligatoires pour tous les immigrants?”

Le premier ministre a répondu en prêtant toutes sortes d’intentions au chef de la CAQ:

“J’avais une crainte qu’on enfourche du côté de l’opposition le mouvement de ressac et anti-immigration qu’on observe de l’autre côté de la frontière et en Europe. […] Je crains fort monsieur le président que la deuxième opposition souffle encore une fois sur les braises de l’intolérance.”

Jean-Marc Fournier, le leader parlementaire du gouvernement, en a rajouté suite aux protestations de la CAQ:

« On a bien entendu que le chef de la deuxième opposition parlait de cours et on sait qu’il a aussi l’idée d’avoir des tests de déportation, ça va ensemble monsieur le président. »

Comparer les idées de François Legault à celles de Donald Trump, insinuer qu’il « enfourche » le mouvement anti-immigration européen et dire qu’il veut instaurer des tests de déportation, c’est légèrement exagéré en regard de la question de départ.

Remarquez qu’il arrive aussi à François Legault d’en mettre un peu trop dans les questions qu’il pose:

“Monsieur le président, les jeunes qui choisissent une carrière tiennent compte de la première année, là on achète une maison… Est-ce que le premier ministre est d’accord oui ou non pour faire mal aux jeunes?”

Pour ceux qui veulent savoir, non, le premier ministre n’est pas d’accord pour faire mal aux jeunes.

Mathieu Traversy du PQ a déjà lui aussi posé une question de cet acabit à la ministre Francine Charbonneau en septembre 2014:

“On savait déjà qu’ils s’attaquaient aux familles depuis quelques semaines et quelques mois. On sait maintenant aujourd’hui qu’ils s’attaquent aux partenaires du milieu, aux gens qui s’occupent de nos enfants. Qu’est-ce que ce sera demain, monsieur le président, est-ce qu’elle va s’attaquer à nos enfants?”

Selon nos sources, Madame Charbonneau n’a heureusement toujours pas attaqué d’enfants. Quoiqu’avec le français qu’elle parle, les enfants qui l’ont écouté pourraient en conserver des séquelles.

À la Chambre des communes, Rhéal Fortin, le chef intérimaire du Bloc Québécois, y allait fort lui aussi il y a quelques semaines à propos du projet de loi sur la traite des personnes:

“Ça c’est de l’insensibilité, et cette insensibilité-là va finir par tuer ce gouvernement-là… et tuer des québécois avec.”

C’est quand même gros.

Mais Rhéal Fortin ne se rend pas compte que son projet de souveraineté pourrait aussi faire des victimes. Comme l’a dit à quelques reprises le ministre Pierre Paradis, l’indépendance du Québec aurait des conséquences terribles sur… les vaches:

“Les producteurs de lait québécois produisent deux fois le lait que l’on consomme au Québec. S’il fallait que le Québec se sépare, c’est une vache sur deux qui serait détruite.”

Détruite, rien de moins. Tout ça à cause de la gestion de l’offre qui favorise la province.

Il y a aussi les critiques qu’on ne doit pas faire.

Philippe Couillard invite souvent les partis d’opposition à ne pas critiquer les choix économiques de son gouvernement parce que la main invisible du marché pourrait les entendre (avec son oreille invisible) et ce serait néfaste pour l’économie du Québec. Ce fut le cas lorsque le gouvernement a annoncé une subvention d’un milliard à Bombardier:

« J’invite le collègue à la prudence. Ce qu’il vient de dire, ça va avoir exactement l’effet dont il vient de parler sur l’action de Bombardier. Chaque mot qui est prononcé ici sur cette entreprise et ses projets a un impact direct sur ses projets, a un impact direct sur les marchés, monsieur le président”

Interdit donc de critiquer le geste du Parti libéral. Le marché écoute attentivement la période de questions et pourrait être influencé.

Même principe dans le cas de Justin Trudeau qui a peur que l’État islamique entende les critiques des Conservateurs à l’endroit de son gouvernement:

« Ce que nous n’allons pas faire, c’est de continuer d’essayer d’en parler, de donner de la publicité gratuite à l’État islamique parce qu’eux, on sait qu’ils utilisent la propagande pour se propager. »

Arrêtons de parler de l’État islamique, ça leur fait de la pub!

Une des plus belles excuses pour éviter le sujet.

Tout ça pour dire que les débats de fond qui font avancer la démocratie se font plutôt rares par les temps qui courent. Heureusement qu’il y a Gaétan Barrette pour élever le discours…

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