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Un habitus 
de perdant

MONTREAL, QC - DECEMBER 07: Goaltender Carey Price #31 of the Montreal Canadiens is pushed into his net against the Calgary Flames during the NHL game at the Bell Centre on December 7, 2017 in Montreal, Quebec, Canada. The Calgary Flames defeated the Montreal Canadiens 3-2 in overtime. (Photo by Minas Panagiotakis/Getty Images) Photo: Getty Images

Pierre Bourdieu n’était probablement pas un fan de Canadien. Il est mort en 2002, et faut dire qu’avec l’internet qui n’était pas tellement développé à l’époque, y’a peu de chance qu’il ait même déjà pu regarder un match grâce à un lien de streaming piraté. N’empêche, ses théories, elles, sont fort intéressantes pour analyser la saison de bouette de Canadien.

Disons d’abord que Bourdieu ne croyait pas fort-fort à l’idée de l’égalité des chances. En fait, il trouvait que c’était une grosse joke. Selon ses théories de la reproduction et de la domination, il était de ceux qui pensent que la société 
assigne des places aux individus à leur naissance; mieux, que le milieu social dans lequel ils naissent les forge et que, conséquemment, les chances de réussir sont inégales pour un individu qui naît à Hochelaga-Maisonneuve et un autre qui naît à Outremont.

Or, Canadien, qui a longtemps été un club composé majoritairement de Canadiens-français catholiques nés pour un petit pain, et qui mangeaient leur petit pain noir, fut ironiquement, pendant les années les plus difficiles de l’histoire récente de sa société, un club de glorieux. Dans la lorgnette de Bourdieu, les joueurs de Canadien étaient donc à l’époque des miraculés du système, alors qu’ils auraient dû jouer comme des jambons.

Mais qu’est-ce qui pourrait bien expliquer alors que Canadien soit devenu au fil du temps un club pourri, alors que la société de laquelle il est le fier représentant a fait d’énormes pas en avant et accumule désormais les succès (avant de les vendre aux Américains)? Ne devrait-il pas être un club de gagnants qui va aussi bien que le Québec semble aller dans les publicités – mensongères, mais bon – du gouvernement au sujet du réseau de la santé, par exemple?

En fait, c’est que tout transfuge de classe, comme Canadien lors de ses années glorieuses, demeure toujours habité par la honte de ses origines. Certes, cette honte est parfois latente, à l’image de la gourde d’eau sur le filet de Carey Price pendant qu’il goale, mais cette gourde sacre parfois le camp à terre lorsque la rondelle rentre trop fort dans le filet, right? C’est ce qui arrive aussi parfois avec la honte des origines sociales : elle se réveille.

Mon hypothèse est donc la suivante : Canadien n’a jamais pu se libérer totalement de son habitus de classe sociale de pea soup de perdants duquel il est issu historiquement. Et là, ça le rattrape.

Didier Eribon, un disciple de Pierre Bourdieu, pense qu’on peut s’émanciper des déterminismes qui nous ont forgé en pratiquant la pensée critique. Ce qui veut dire qu’il faut prendre conscience de ces déterminismes et, surtout, prendre conscience qu’ils ne sont pas immuables.

Pensez-vous vraiment que Canadien peut faire ça? Moi, non. Le reste de la vie va être long.

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