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Rire des choses sérieuses

On parle souvent de l’humour et de la comédie en utilisant le vocabulaire de la distraction, du divertissement. Rire permettrait de s’évader, d’oublier quelques instants ses soucis, de se détourner de quelque chose : de ses tracas, de ses dettes, de son patron qui est un impossible imbécile, des enfants qui crient ou du voisin qui tond sa pelouse à l’aube. On rirait essentiellement pour passer un bon moment, pour se détendre avant de retourner aux «vraies affaires», aux «choses sérieuses».

Mais en est-il vraiment ainsi? Comprendre le comique, le rire et la comédie comme des moyens de s’évader de ce qui serait la «vraie vie» est-il la meilleure façon d’expliquer ces phénomènes sociaux complexes, universels, anciens et aussi variés que le théâtre de Molière, le cinéma de Mel Brooks, les dessins de Gotlib, les jeux de mots de Sol, les malaises de Martin Matte, les performances de Fabrice Luchini, les pensées de Chamfort, les observations de Jerry Seinfeld ou les remarques décapantes de Frankie Boyle?

On affirme aujourd’hui – avec cette supériorité morale si caractéristique de notre époque – qu’il est immoral de rire de certains sujets (tout ce qui touche à la souffrance: la mort, le viol, les handicaps, la maladie, les enfants, l’intimidation, la guerre, l’injustice, etc.). Faire de l’humour avec la souffrance serait une façon de se moquer de celle-ci, de la nier. Or, et si l’humour et la moquerie étaient deux choses complètement différentes et peut-être même antithétiques? Et si l’humour n’était pas que de la distraction? Et s’il était au contraire une façon de créer du sens, de mettre de l’ordre dans le chaos, un mécanisme qui permet justement de nommer, de digérer et de survivre aux pires atrocités?

Pointer les injustices, montrer les travers des hiérarchies dominantes, critiquer le pouvoir (politique, économique, intellectuel, religieux, etc.), faire réfléchir, favoriser la guérison, communiquer un message, déboulonner les certitudes, pourfendre la bêtise, favoriser l’apprentissage; voilà autant de fonctions de l’humour qui n’ont rien à voir avec la méchanceté.

On peut évidemment se plaindre qu’il y a trop d’humoristes (au Québec ou ailleurs) ou qu’on leur offre trop de visibilité. On peut aussi être d’avis que certains humoristes sont carrément mauvais. Mais est-ce que tous les peintres, tous les danseurs ou tous les cinéastes sont censés nous plaire? De plus, les professionnels de l’humour ne forment qu’une minuscule partie d’un phénomène beaucoup plus large, qui dépasse ceux et celles qui gagnent leur vie en faisant rire. Ce sont d’abord nos pères, nos mères, nos cousines, nos oncles, nos amies et nos collègues qui mettent de l’humour dans nos vies (avec plus ou moins de succès – le talent étant une chose inégalement répartie).

L’humour ne sert pas seulement à se détendre. Il sert à pointer nos travers, nos manies, nos gonflements d’ego. Il sert à créer de la joie et à générer de l’allégresse. Il sert à mettre de l’esprit dans la grisaille, de l’humilité dans le pompeux, de l’intelligence dans le désordre et de la lumière dans les ténèbres.

Bref, on ne peut pas rire des choses sérieuses : on DOIT en rire.

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