Soutenez

Uber, taxi et nouveau capitalisme: embarques-tu?

Photo: Crédit photo: Mario Alberto Reyes Zamora

Par Mathieu Thériault, camelot Bernard/ De l’Épée

On parle beaucoup, depuis un temps, de l’économie « collaborative ». Ces nouveaux services comme UberX, Airbnb, le couchsurfing et autres échanges de services rendus possibles grâce aux nouvelles technologies. On vante un modèle en dehors du capitalisme traditionnel, convivial et accessible, où l’usager/consommateur serait au centre des priorités, gagnant sur tous les fronts. Et si le modèle « techno-friendly » censé bouleverser la hiérarchie salariale et les forces de l’argent ne venait finalement que renforcer celles-ci ? Petite réflexion sur une nouvelle patente qui profite peut-être plus qu’on pense aux vieilles affaires.

Ainsi donc, en vertu du nouveau règlement de la Ville pour moderniser l’industrie du taxi, les chauffeurs doivent désormais revêtir un uniforme propret style pantalon noir et chemise blanche. Ils doivent aussi sortir de leur véhicule pour ouvrir la portière à ceux qui les ont « commandés » par téléphone ou par internet. Bref, pour s’adapter à la concurrence que leur offrent les chauffeurs d’UberX, nos taximen doivent singer les chauffeurs de limousines sans le salaire qui va avec. Sans doute un autre miracle de l’économie « collaborative »?

On disait que cette économie nouveau genre qui offre des services comme UberX ou Airbnb proposait une alternative communautaire et virtuelle au capitalisme traditionnel. C’est en partie vrai. En quelques clics, on trouve désormais des solutions de rechange super abordables à ce qui était autrefois des monopoles des industries du transport ou de l’hôtellerie, par exemple. C’est super, sauf que cela semble être en train de créer une catégorie de travailleurs qui pensent être leur propre patron mais qui sont en fait l’idéal-type du travailleur exploité dans le néolibéralisme. Pendant les Fêtes, on a aussi vu que la seule loi d’Uber était celle du marché. Des usagers ont payé des centaines de dollars pour des petites distances sous prétexte que le tarif augmentait par dix pour répondre à la loi de l’offre et de la demande. Tout cela pour le compte d’une compagnie californienne qui ne paie aucun impôt ici.

Déjà que chauffeur de taxi, c’est pas le Pérou. S’ils ne peuvent se payer un permis à 200 000 $, ils doivent le louer pour plus de 500 $ par semaine, avant de même commencer à gagner un peu d’argent. Et voilà qu’arrive le concurrent qui est le rêve de tout patron. L’employé motivé, flexible, qui n’a aucun contrat d’embauche. Pour lequel on ne paie aucune charge sociale, à qui on ne doit rien s’il se blesse ou s’il tombe malade. Évidemment, pas question de syndicats, de revendications ou d’associations ouvrières.

Un nivellement par le bas
Oui c’est vrai, le consommateur peut en ressortir gagnant. Il paie sa course la moitié moins cher et il sera traité aux petits oignons par un chauffeur qui se sait noter sur internet, en compétition avec plein d’autres chauffeurs sur la même application virtuelle et anonyme. Les chauffeurs de taxi traditionnels ont vivement réagi à cette concurrence déloyale.

Ok. Ils ne sont pas toujours sympathiques à l’extrême. Mais quand tu dois travailler 60 heures semaine, à n’importe quelle heure, pour des clients exigeants et souvent désagréables (saouls et malades … ouache ! ), ça peut se comprendre. Pour rajouter à leurs conditions pas évidentes, la Ville les force désormais à avoir un uniforme de bourgeois, à être filmés en tout temps, à accepter les cartes, à ne plus parler au téléphone et à sortir pour faire le guignol et ouvrir la portière même quand cela n’est pas pertinent.

C’est à se demander si on n’assiste pas ici à un nivellement par le bas de conditions de travail qui n’étaient déjà pas fameuses. Les innovations technologiques permettent effectivement à un quidam de devenir son « propre patron » à partir d’internet et de son cell. Mais à quel prix ? Aucune sécurité d’emploi, aucune garantie ou assurance, aucune stabilité ni plan à long terme. Et une pression à la baisse sur une catégorie de travailleurs qui tiraient déjà le diable par la queue. Est-ce vraiment cela que nous espérons de ce que plusieurs encensent comme l’économie « collaborative » ? Ce ne serait pas plutôt l’esclavage salarial 2.0 ?

***

Ce texte figure dans l’édition du 1er mars de L’Itinéraire.

À lire dans cette édition: Hommage à des combats de femmes au Québec, en Occident…et ici à L’Itinéraire !

Procurez-vous votre copie auprès de votre camelot préféré. Les camelots sont des travailleurs autonomes. 50% du prix de vente du magazine leur revient.

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.