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Réveiller les mots

Toutes les fois où je me sens coupable de ne pas accorder assez de temps au réapprentissage de ma langue, je me dis qu’au moins, j’essaie et que j’ai fait bien des progrès en deux ans. Je garde aussi en tête des exemples inspirants que j’ai la chance de connaître. Shauit, qui lançait son nouvel album mardi, en fait partie. Shauit chante principalement en innu aimun, une langue qu’il ne parlait pas et qu’il s’est réapproprié. Reggaeman originaire de Maliotenam, il s’exprime dans sa langue avec tant de fluidité que cela en est inspirant pour n’importe quel Autochtone souhaitant se faire le cadeau de parler la langue de ses ancêtres.

Les raisons pour lesquelles les jeunes Autochtones perdent leur langue à un rythme alarmant sont nombreuses. Parfois, ce sont nos parents, traumatisés par les pensionnats autochtones, qui ont voulu nous protéger. Trop souvent, ce sont les communautés qui n’ont pas le contrôle sur le curriculum scolaire. C’est aussi le manque d’intérêt des gouvernements à vouloir protéger nos patrimoines linguistiques, même si le Québec fait des pieds et des mains pour le français. Ça peut être bien des choses, mais le résultat est souvent percutant : la honte prend le dessus et on ne se sent pas assez «Indien». On dit que les 60 langues autochtones parlées au Canada sont menacées de disparition, sauf l’Inuktitut. Quand on perd sa langue, on sent que le fardeau est sur nos épaules, même si la faute revient au gouvernement fédéral et à son système de pensionnats, où nous ne pouvions pas nous exprimer dans nos langues maternelles.

Le sentiment de culpabilité est fort, surtout quand on ne peut pas s’adresser à nos aînés. Ma grand-mère parle seulement le cri. Pendant des années, une grande barrière linguistique nous a séparées, pas seulement une grande distance géographique. J’ai beaucoup de questions pour ma grand-mère, beaucoup de choses à lui dire. Âgée de 88 ans, elle se fait vieille, et réapprendre ma langue est devenu une course contre la montre. Depuis deux ans, j’arrive à pousser un peu plus la conversation. Par les rires et les larmes que ça lui tire, je pense que ça l’apaise un peu, mais ce n’est pas assez. Je veux lui donner des mots qui lui sont familiers, qui lui rappellent son enfance en forêt et les moments avant qu’on lui prenne ses enfants pour les mettre dans des écoles de la honte. Lorsque le sentiment de ne pas être assez me monte à la tête, je pense à mes ami.es qui ont réussi à se décoloniser, dont Shauit. Je sais alors que je peux moi aussi y arriver.

@MaiteeSaganash

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