Les associés

Au début du siècle dernier, le philosophe mathématicien anglais Bertrand Russel mettait ses contemporains et les générations futures au défi : «Tant que notre société n’aura pas rendu le travail partout agréable, elle ne pourra pas prétendre être arrivée à un degré convenable de civilisation.» Il visait haut. Et si on se contentait d’un travail qui paie un salaire décent? C’est le minimum qu’une société civilisée devrait garantir.

La semaine dernière, le salaire minimum augmentait de 0,20 $, pour atteindre 10,55 $ de l’heure au Québec. Si vous travaillez 40 heures par semaine, vos revenus vous placent en dessous du seuil de pauvreté. Travailler 40 heures par semaine pour être pauvre. How civilised!

Ça m’a d’ailleurs toujours semblé bien bizarre que Walmart, la plus grosse compagnie au monde en termes de chiffre d’affaires, et le plus important employeur aux États-Unis et au Canada, paie si mal ses employés. Je parle de ses «associés», les travailleurs dans les magasins. Ils sont aussi, après tout, ses consommateurs. Plus ils auront d’argent dans leurs poches, plus grand sera leur pouvoir… d’acheter des cossins chez Walmart.

Comprenez-moi bien : je ne suis pas chantre d’un droit inaliénable de consommer ad infinitum. Les 60 dernières années nous ont bien appris que le matérialisme à tout crin est nocif pour les écosystèmes et pour notre âme… Mais la capacité d’acheter ce qu’il nous faut pour vivre décemment, ça, oui, c’est un droit.

Kshama Sawant, économiste et politicienne municipale à Seattle, milite pour que sa ville augmente le salaire minimum à 15 $ de l’heure. Ses détracteurs affirment que cela tuerait les entreprises. L’économiste leur répond :

«Si le fait de s’assurer que les travailleurs sortent de la pauvreté pouvait avoir des conséquences graves pour l’économie, alors peut-être que nous ne voulons pas de cette économie-là.» Affirmation radicale ou gros bon sens? C’est en tout cas une autre façon de demander si l’économie est au service des gens, ou si c’est Elle que les gens doivent servir.

Dans le cas de Walmart, ce n’est pas un problème de marge de profit fragile. Comme c’est le cas d’autres grandes entreprises, la compagnie bat des records de profits chaque année.

C’était d’ailleurs étonnant d’entendre des insiders de Wall Street déplorer, il y a quelques jours, que les mesures financières adoptées par les entreprises pour faire plaisir aux actionnaires se font aux dépens de l’investissement dans les salaires et la formation de leurs employés. Lorsqu’elles n’utilisent pas leur abondante trésorerie pour payer des salaires démesurés à leurs dirigeants, notamment en rachetant leurs propres actions pour faire augmenter la valeur des dividendes versés, ces entreprises empilent l’argent dans des comptes qui dorment. Leur choix de ne pas mieux payer leurs employés n’a donc rien à voir avec les moyens dont elles disposent. Bien payer leurs employés, pour ces entreprises milliardaires, n’est pas seulement une option économique viable, c’est une responsabilité sociale.

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