Surveiller les surveillants

Il y a 10 ans, j’ai voyagé en Afrique de l’Ouest et du Nord avec des collègues québécois lors d’un stage. L’un d’entre eux, d’origine marocaine, devenait très nerveux chaque fois qu’on franchissait une frontière. Il craignait qu’on applique de façon aléatoire un règlement pour lui nuire ou pour lui soutirer un bakchich.

Je rigolais devant cette peur qui me semblait injustifiée. J’avais confiance dans les systèmes et les règlements qui protégeaient mes droits les plus fondamentaux. Nous étions alors en 2006 et le monde était bien différent.

Aujourd’hui, nous sommes surveillés en permanence. Certains sont traqués ou fichés en raison de leur origine, de leurs activités sur les réseaux sociaux ou de leurs déplacements. Peut-être les pays occidentaux seraient-ils encore davantage la cible d’attaques terroristes si ces mesures n’existaient pas? Difficile de savoir si ça fonctionne vraiment parce que, en cette matière, les gouvernements sont des champions de l’opacité.

Pour répondre aux critiques, le gouvernement canadien vient de créer un nouveau comité qui se penchera sur les opérations des agences de sécurité et de renseignement du pays afin de surveiller les surveillants. Ce comité sera cependant sous l’égide du premier ministre, qui aura le pouvoir de réduire la portée de ses travaux.

Pendant ce temps-là, le ministre canadien de la Sécurité déposait un projet de loi qui permettra le partage automatique des informations sur tous les citoyens canadiens qui traversent la frontière par voie terrestre : des informations biographiques, mais aussi les dates et lieux de tous les passages frontaliers. Cela donne suite à une entente signée en 2011 entre les deux pays, qui jusqu’ici ne concernait que les résidents permanents et les voyageurs étrangers. Après la voie terrestre, le gouvernement compte étendre cette collecte de données aux aéroports. Une fois entre les mains des États-Unis, ces données sur vous et moi échapperont au contrôle canadien.

Mon ami nerveux aux frontières l’était devenu par expérience. Il avait connu la monarchie marocaine qui, comme toutes les dictatures, invente les règles qu’elle veut bien, les modifie si ça lui chante et les applique en fonction de la tête du client.

Ce genre d’inquiétude m’avait semblé ridicule il y a 10 ans. Mais devant la tournure qu’a prise la campagne électorale américaine, je ne peux m’empêcher d’entrevoir des risques que l’Occident n’a pas affrontés depuis le milieu du siècle dernier. Un président raciste et belliqueux pourrait se servir de ces dispositifs pour nous protéger comme pour nous diviser ou pour imposer des discriminations raciales.

Pas besoin d’entrevoir un scénario catastrophe comme celui-là pour trouver toutes ces mesures alarmantes. Étant donné qu’elles portent atteinte à notre droit fondamental à la vie privée, les dispositifs de surveillance semblent d’autant plus déraisonnables que les attaques récentes sont difficilement prévisibles. Le tueur d’Orlando a peut-être trouvé la justification de ses gestes violents et l’impulsion d’agir dans la rhétorique djihadiste, mais il n’a aucun lien avec aucun groupe organisé.

Ne devrait-on pas consacrer autant d’efforts, de ressources, d’ingéniosité, de créativité et de conviction à prévenir les conditions qui font naître la violence dans le coeur des gens qu’on en met à s’emmurer dans des dispositifs de sécurité ou à faire la guerre avec des ennemis qui ne cessent de se renouveler?

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