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Liste des aberrations admissibles depuis le débat sur la charte

Ayant un parti pris favorable aux débats d’idées et même aux querelles de toutes sortes, je fus bien embêtée lorsqu’un membre de ma famille a déclaré avec sagesse que ce débat sur la charte était nécessaire et qu’il était sain pour une société de discuter de ces choses-là qui ne sont pas toujours belles. Je considère en effet que dans la société comme dans un couple, la communication est un préalable à la cohésion et à la bonne entente.

Mon côté pacifiste s’est toutefois trouvé en dissonance cognitive : était-ce vraiment une bonne affaire de brasser autant de malheurs? Ce débat valait-il la peine d’être abordé si, en le contournant, on avait pu éviter ne serait-ce qu’une seule manifestation de violence à l’égard d’une femme voilée ou un seul incident antisémite, comme le professeur Daniel Weinstock en a été victime après avoir été mal interprété? Certains diront que cette violence existait et qu’il valait mieux en prendre conscience que de l’envoyer aux caniveaux, comme nous l’avons probablement fait dans les années passées, d’où le refoulement d’égout.

Il ne sera donc pas difficile de me convaincre que ce débat était nécessaire. J’aimerais toutefois porter à l’attention des débatteurs certains glissements dans le discours qui contribuent à abaisser le niveau dudit débat. On s’en rend compte en découvrant qu’il est maintenant possible de voguer sur des aberrations qu’il eût été totalement inadmissible de seulement évoquer il y a quelques mois. En voici une liste sommaire.

1. Dire aux immigrants qu’ils retournent dans leur pays s’ils ne sont pas contents

Autrefois, l’expression «si sont pas contents qui r’tournent dans leur pays» était réservée aux abrutis méconnaissant quelques notions élémentaires de citoyenneté. Aujourd’hui, ses dérivés sortent de la bouche de politiciens aguerris maîtrisant parfaitement leur latin. Bien sûr, vous me direz que les malheureuses déclarations d’Yves Michaud à l’effet que les «croyants de toute confession qui sont outrés par la charte des valeurs n’ont qu’à plier bagage et trouver refuge ailleurs» étaient un dérapage que même le ministre Drainville a reconnu comme tel et dont le principal intéressé s’est excusé. J’aimerais toutefois souligner deux phénomènes survenus avant que l’ami du PQ retire ses paroles.

Dans un premier temps, Yves Michaud a été présenté par La Presse Canadienne non pas comme un boulet embarrassant pour le PQ, mais comme un «allié indéfectible» du projet de charte. Avant le débat sur la charte, toute déclaration semblable eût été considérée d’emblée comme une offense à la citoyenneté, mais dans le cadre d’un débat pas si serein, une phrase qui fait des opposants à un projet des citoyens de second ordre, cette déclaration a été vue comme un appui. Puis, lorsque monsieur Michaud a commencé à sentir la soupe chaude, il a cru bon de préciser qu’il ne s’adressait pas à tous les opposants à la charte, dont ceux nés ici, mais seulement à ceux venus d’ailleurs, grimpant ainsi d’un barreau dans l’échelle de l’exclusion.

2. Négocier la définition du mot «racisme»

«On n’est pas racistes, l’Islam, c’pas une race!» On peut jouer longtemps comme ça sur les mots et je conviens qu’il serait plus précis de parler d’une incompréhension à l’égard de l’Autre ou d’une discrimination basée sur une généralisation (qui, lorsqu’elle se fonde sur un critère arbitraire comme l’ethnicité, prend le nom de racisme), mais ce débat sémantique ne fait que détourner l’attention du fait qu’une réelle intolérance soutient parfois le discours. Cette négociation sur les mots en a emmené certains à vouloir redéfinir des termes comme «islamophobie», une pure invention des intégristes, à se poser en victimes, ou à revendiquer fièrement leur intolérance : «Bien sûr que je suis islamophobe, j’ai peur de la montée de l’Islam politique!»

Certains diront avec raison que le fait de traiter «tous les pro-charte de racistes», ne contribue pas plus à élever le débat. Personnellement, je me suis gardée de le faire pour cette raison, mais aussi parce qu’il est évidemment faux de dire que tous les pro-charte sont racistes ou intolérants. Par contre, ce qui est triste, dans tout ça, c’est qu’en raison de ces tergiversations étymologiques sans fin, il est de plus en plus difficile de pointer du doigt le véritable racisme, celui qui se passe de nom. J’aimerais que les pro-charte aient l’honnêteté intellectuelle de dénoncer le racisme, et je leur promets qu’en échange, je dénoncerai de toutes mes forces les manifestations d’intégrisme, même si je sais que d’aucuns en feront leurs choux gras pour démontrer le bienfondé d’une charte qui, à mon avis, ne réglera aucun de ces dérapages.

3. Amalgamer de mauvais traitements médicaux à une appartenance religieuse

Il est compréhensible qu’à la fin de leur vie, même de grandes humanistes ressentent une certaine crainte à l’idée d’être soignée par une personne d’une religion qui leur est manifestement mystérieuse. Ces femmes voilées vont-elles les laisser mourir plus vite en raison de leur religion? Voilà une question à laquelle des théologiens ou, au pire, des chefs de départements d’hôpitaux seraient mieux placés que Drainville pour répondre.

La grande Lise Payette dit avoir été victime de négligence de la part d’une infirmière voilée en raison de sa religion. Ce débat semble nous faire oublier que l’ancienne ministre a été victime de négligence point, et que cette négligence aurait dû faire l’objet d’une sanction, peu importe l’appartenance religieuse de l’infirmière.

Parfois, cette incompétence médicale est tout simplement assimilée non pas à la religion, mais à l’origine ethnique. Dans son mémoire, Michelle Blanc signale qu’un infirmier «d’origine ethnique “différente”» s’est obstiné à l’appeler «monsieur» en dépit de sa demande d’être appelée «madame». Je comprends tout à fait le sentiment de mon amie Michelle devant cette discrimination. Je me demande toutefois pourquoi elle, qui est victime d’une transphobie sans nom plusieurs fois par année sur les réseaux sociaux, qui se fait tantôt traiter de «dude», tantôt de «douchebag», par des blancs de blancs, pointe-t-elle du doigt «l’origine ethnique différente» d’un idiot parmi 1000? La prochaine étape, après la charte : on retire aux gens «d’origine ethnique différente» le droit de travailler dans le secteur public parce qu’on les présume transphobes? Voilà un glissement qui m’apparaît périlleux.

4. Assimiler la nuance à l’intégrisme

Eh voilà, vous en êtes maintenant avertis par le ministre Drainville : si vous êtes contre la charte, vous êtes pour l’intégrisme. Vous êtes donc favorable aux mariages forcés, aux tests de virginité, à l’excision des jeunes filles, aux crimes d’honneur, aux vitres teintées du YMCA, à la charia et surtout, au port du tchador, même si la charte de Drainville n’aura d’effets sur aucun des éléments de cette énumération.

Au début du débat, cette absence de nuance prenait une forme plus subtile, certains affirmant qu’on ne pouvait pas être à la fois pour la laïcité et contre la charte. À part d’obscurs imams qui militent en faveur de l’établissement d’un tribunal islamique, je ne connais personne qui soit contre la séparation de l’Église et de l’État au Québec. En fait, je pense qu’à titre de farouche opposante à la charte proposée par Drainville, je suis encore plus en faveur de la laïcité que nos amis du PQ, qui chantent Gloire à Dieu à Noël dans l’enceinte parlementaire, qui félicitent la nomination d’un représentant d’une institution misogyne, ou qui érigent la laïcité non pas en principe universel, mais en véritable religion.

Cette liste de glissements n’est évidemment pas complète, et je vous invite à la bonifier de vos observations. Cette invitation est aussi lancée aux pro-charte qui considèrent sûrement eux aussi que le débat dérape à l’occasion.

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