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Quand jeunesse se passe

Photo: istudio divertissement

Quand on fait un portrait, on n’a jamais vraiment de contrôle sur la réaction des principaux intéressés quant au regard qu’on aura porté sur eux. Parfois, on les brusque alors qu’on croyait faire leur éloge, d’autres fois, c’est l’inverse. Une directrice de fondation que j’admirais beaucoup était furieuse parce que j’avais écrit dans son portrait qu’elle faisait des cupcakes pour ses bénévoles. «Ils vont m’appeler “la madame aux gâteaux”, m’avait-elle répondu presque en larmes. Allez comprendre.

Dans le cas du documentaire Secondaire V, de Guillaume Sylvestre, il faut ajouter une autre couche d’interprétation : on n’a jamais vraiment de contrôle sur la réaction des principaux intéressés quant au regard qu’on aura porté sur eux… après qu’ils aient lu la chronique de Sophie Durocher.

Alexandre Petitclerc et Mattis Savard, deux anciens de Paul-Gérin-Lajoie-d’Outremont (PGLO), l’école dépeinte dans ce documentaire, ont pris la plume pour montrer qu’ils connaissaient 2-3 mots de plus que «comme» et «genre» à la chroniqueuse du Journal de Montréal qui est sortie outrée du visionnement et qui a déclaré : «Il faut le dire haut et fort: ce qu’on voit dans ce documentaire, si c’est représentatif de ce qui se passe dans les autres écoles publiques du Québec, est une catastrophe.»

La réponse des deux jeunes hommes est sans appel et comporte certains passages assez baveux, comme : «en n’ayant visiblement jamais mis les pieds dans une école publique dernièrement, vous incarnez ce qu’est le véritable fléau de notre société : la désinformation», ou encore : «dans ces fameux cours de sexualité, on apprend, entre autres, que la pornographie donne une fausse image de ce qu’est le sexe. Ce documentaire est un peu à l’école publique, ce que le film porno est à la sexualité».

Leur texte est savoureux, parce qu’il donne un avant-goût d’un phénomène illustré tout au long du film et qui agace tant ma collègue Sophie : l’apprentissage de la négociation avec des arguments d’adultes.

Si le réalisateur Guillaume Sylvestre se réjouit du brouhaha causé par son film, il reproche aux deux jeunes d’avoir confondu le film et la critique, et en ça, je ne peux que lui donner raison. «Lorsque je leur ai présenté le film, ils étaient contents, on s’est même fait des accolades», dit-il. «Notre premier sentiment, quand on a vu le film, c’était de la nostalgie, explique Alexandre. Avec un peu de recul, on a compris comment ça pouvait être perçu dans l’œil extérieur, et ce que ça véhicule sur l’école publique».

Les jeunes se sont-ils sentis «trahis», comme un élève de 30 vies dans une scène avec Benoît Brière? «Non. On ne peut pas dire qu’on se soit senti trahis. C’était peut-être naïf de notre part de penser qu’il allait montrer seulement le bon côté des choses», commente Mattis, tout en continuant à croire que Sylvestre avait tout le matériel en sa possession pour casser les préjugés qu’on se plait à entretenir à l’égard de l’école publique.

Après avoir vu le documentaire, j’ai eu envie de les rassurer : il s’agit d’un bien beau film. Je ne sais pas où il se vend assez de mauvaise foi pour y voir autre chose qu’un regard touchant sur l’adolescence. Une adolescence ébouriffée, pas parfaite, qui apprend à se coltailler aux idées des adultes parfois avec maladresse, la plupart du temps avec un grand engagement. Avec certes des mots béquilles tels que «comme», «genre», «tsé», mais aussi avec de jolis mots qu’on emploie plus assez dans le langage courant, tels que «tituber». Comme dans la phrase : «C’était fou, à la manif, un policier m’a poussé, j’étais complètement sonné, je titubais». Il faut cuver un vin bien triste pour ne pas voir dans ça une poésie brouillon, propre à des humains en formation, qui s’approprient tantôt des mots d’adultes, tantôt des idées nouvelles, et qui jonglent avec tout ça ni mieux ni pire que nous à leur âge.

Il faut savoir y voir le beau, quand un enseignant (je salue mon ancien prof de français Pierre Major, salut Pierre!) fait écouter Jacques Brel et qu’une jolie punkette verse une larme. Il faut saluer le talent de ces jeunes-là, quand il les emmène à disserter sur la vie de leurs parents quand ils avaient 16 ans. Certains adultes auraient tout intérêt à faire l’exercice inverse, ça éviterait bien des manques de compassion envers l’adolescence.

Évidemment, on voit aussi dans ce documentaire des adultes imparfaits, qui ne maîtrisent pas toujours leur affaire, dont la méthode pour imposer les retenues n’est visiblement pas au point, et qui sont parfois incapables de rassasier la soif de connaissances de leurs ouailles. Une professeure de 24 ans se trouve un peu au dépourvu quand sa classe, formée de jeunes juifs et musulmans, entend parler du conflit israélo-palestinien. Ça fait deux ans qu’elle enseigne : je vous invite à ne pas relire mes textes de quand j’avais deux ans d’expérience svp.

Mais le vrai scandale, c’est qu’on s’offusque qu’un professeur d’Éthique et culture religieuse offre un cours d’introduction à la sexualité à des jeunes qui en sont privés depuis bientôt une décennie, et qui, dépourvus devant cette grande noirceur, n’ont d’autre choix que de combler leurs lacunes sur internet. Sophie Durocher s’indigne de la façon dont le professeur s’y prend pour illustrer l’importance de se laver avant de s’adonner à l’anulingus. Je lui suggère de comparer avec la méthode «Google image».

Il est difficile pour moi de concevoir que ce film ait pu être reçu comme un plaidoyer contre une école publique dont le dernier bastion, dans Outremont, est fièrement représenté par PGLO. «Moi, ce n’est pas ça que je vois, commente Guillaume Sylvestre. J’ai voulu voir ce qui se passait à l’école au coin de chez nous et je me suis attaché à ces jeunes-là. C’est vrai que parfois c’est le bordel, et que certains ne verront que des jeunes avachis sur leur pupitre, mais ils s’expriment et sont ouverts sur le monde», dit celui qui, dans son discours, ne semble ni pour ni contre l’école publique.

Évidemment, le réalisateur ne s’objectera pas aux vives réactions qui découlent de son œuvre et qui forcent les spectateurs à aller voir le film pour se faire leur propre idée. Il s’en trouvera sûrement des nostalgiques de l’époque où on formait des travailleurs serviles qui trouveront que «ça n’a pas de bon sens, des jeunes qui répondent à des adultes». D’autres qui se rappelleront avec autant de nostalgie de l’époque où ils arrivaient les yeux légèrement rougis dans leur cours de morale. Rares seront ceux qui ressortiront indifférents de ce portrait partiel de l’enseignement public.

Dans sa chronique, Sophie Durocher se demande «Comment peut-on espérer que ces jeunes […] qui n’acquièrent que des approximations de connaissance, vont pouvoir, demain, être des citoyens éclairés, capables de réfléchir à des questions complexes?» Je me demande pour ma part comment on peut croire que l’on possède un regard suffisamment éclairé pour condamner l’école publique après 1h30 de cinéma-vérité. Pour un portrait «moins approximatif», la série Écoles à l’examen, de Claire Lamarche, fait le tour de 12 enjeux à travers 12 écoles différentes aux quatre coins du Québec. L’idée n’étant pas de comparer des oranges avec des pommes, mais de présenter Secondaire V pour ce qu’il est (et ce qu’a voulu en faire Guillaume Sylvestre) : un film sur l’adolescence.

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