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Depuis 7 ans

Un chien «différent». Photo:

Chaque fois que je descends du divan depuis sept ans, mon chien me suit. J’ai beau lui expliquer avec des mots qu’il ne comprend pas qu’il peut rester pénard sur le sofa, que je me lève seulement quelques secondes, pour me prendre une poignée de raisins ou pour ouvrir une fenêtre, rien n’y fait. Dès que je mets l’orteil à l’extérieur de l’aire de repos, il laisse choir son petit corps sur le plancher et me suit où que j’aille. Cela me fait d’autant plus pitié qu’il n’est pas très en forme. C’est pas si vieux, sept ans, pour un chien, mais le mien est plein de défauts de fabrication. Il a le dos et les épaules en compote comme un vieil haltérophile. Chaque fois qu’il descend péniblement du divan, je me dis qu’il écourte son espérance de vie d’une journée. Alors je l’implore de rester couché, de s’économiser un peu.

Puis, chaque fois que je remonte sur le divan depuis sept ans, mon chien me regarde avec ses grands yeux pour savoir s’il peut remonter lui aussi. Depuis sept ans, mon chien me demande ainsi la permission pour une chose que je ne lui ai jamais interdite : monter sur le divan. Je ne sais pas pourquoi il fait ça et notre quotidien est ainsi parsemé de politesses qui n’ont jamais été le fait de mes propres exigences, mais plutôt de son éthique de chien à lui. Il attend ma présence pour manger, il saute sur tout le monde bien que je le lui interdise formellement, mais il épargne les enfants, il ne fait jamais ses besoins sur son territoire, bien qu’à plusieurs occasions – à -40oC  par exemple – j’eus préféré qu’il mette ses principes de côté et pisse dans la cour arrière. Il a sa propre petite personnalité bien à lui.

Chaque jour, j’en apprends un peu plus sur cette personnalité toute unique. Pendant les séries éliminatoires, j’ai réalisé que mon chien détestait le hockey – probablement par ce que ça fait crier les humains de manière brutale et sans préavis. Et hier, après sept ans de vie commune, j’ai appris que mon chien aimait une sorte de lac : les lacs pas creux mais très boueux.

J’ai l’air de parler de mon chien comme s’il était l’être le plus extraordinaire de la planète, mais chaque jour, depuis sept ans, j’accepte aussi le fait que j’aie un chien «différent». Un chien qui n’a jamais assimilé la simple consigne «assis», qui comprend son nom selon ses humeurs, qui, incapable de communiquer ses besoins, nous laisse les deviner, qui a plus d’affinités avec les humains qu’avec les autres animaux, qui se désorganise dès qu’il se trouve en présence d’une balle de tennis, mais qui ne sait absolument pas de quoi je parle quand je dis le mot «balle», même s’il s’agit sans contredit de son objet préféré. Il n’est pas sourd – dès qu’il m’entend saisir sa laisse, il se met dans tous ses états parce qu’il sait qu’on va dehors – il ne comprend simplement pas les mots. On dit qu’un chien peut apprendre en moyenne 160 mots. Le mien en maîtrise 0,5 : son nom, une fois sur deux, et encore, je pense qu’il n’est pas sûr d’à quoi cela réfère.

S’il existait un DSM-V pour les chiens, il y aurait certainement un terme pour décrire ce qui se passe entre les deux oreilles molles de mon chien. Heureusement, une telle chose n’existe pas. Je ne peux qu’aimer mon animal pour ce qu’il est. Et chaque jour, depuis sept ans, je m’étonne qu’il m’aime en retour. Après tout, je suis la seule personne qui lui donne un bain à l’occasion, ce qui devrait être une raison suffisante pour m’haïr. Mais non, il continue de me regarder avec sa dévotion toute canine.

Chaque 24 juin depuis sept ans, pendant qu’on célèbre qui la fête nationale, qui la Saint-Jean-Baptiste, moi, je célèbre l’anniversaire de mon chien. Un chien, ça ne sait pas que c’est sa fête quand c’est sa fête. Je pourrais le laisser à la maison toute la journée, c’est moi que ça ferait souffrir, dans ma conception anthropomorphique du concept d’anniversaire. Lui s’en foutrait. Et quand bien même je le couvrirais de cadeaux en cette journée spéciale, il ne comprendrait pas ce qui lui arrive. Chaque année depuis sept ans, donc, plutôt que de confectionner des biscuits pour chiens et de gonfler des ballons en forme d’os, je canalise mon envie de souligner l’anniversaire de mon animal en faisant subir à mon entourage un texte sentimental sur le petit être autonome – pas si autonome – qui fait sa vie à côté de la mienne depuis sept ans.

Chaque année depuis sept ans, j’ai une pensée pour ceux qui n’ont pas réussi à trouver un appartement qui accepte les chiens et qui sont à la veille de se séparer de leur animal de compagnie.

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