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Le vieux du faux

J’ai commencé à soupçonner que le design impliquant du bois de grange, symbole du savoir-faire-par-soi-même hipster, était peut-être tombé du côté douchebag le jour où je l’ai vu côtoyer un graffiti de pitoune à grosses boules dans un resto de poutine près de chez nous.

Mes soupçons se sont confirmés lors d’une réservation pour un séjour dans les Laurentides quand la réceptionniste de l’hôtel m’a dit : «Vous allez voir, les chambres ont toutes été rénovées avec du beau bois de grange». Je me disais que ça devait prendre beaucoup de granges désaffectées pour fournir tout un hôtel, quand j’ai découvert l’existence du «faux bois de grange».

Le sort du bois de grange a été définitivement scellé dans mon cœur le jour où deux spécimens éligibles à Occupation Double ont présenté leurs belles maisons préfab pleines de faux vieux matériaux à Ma maison bien-aimée.

Depuis, je campe avec beaucoup d’autodérision mon personnage de hipster blasée qui trouve que le bois de grange, ça fait tellement 2013. Ça fait bien rire ma famille, dont une moitié ne sait même pas encore c’est quoi ça, du bois de grange, à part le bois qui sert à construire une grange, et une autre moitié qui trouve que je suis vraiment victime de la mode de trouver dépassée une tendance simplement parce qu’elle s’est généralisée. Si tu trouves ça beau, du bois de grange, l’important est que tu écoutes ton cœur, non?

En effet, et je ne tenterai pas de camoufler ma dissonance cognitive ici en disant que je trouve kétaine cette chose qui me plaisait encore il y a à peine six mois. C’est beau, le bois de grange, et le fait que ce soit maintenant beau également au Dix30 ne devrait pas altérer mon appréciation de la chose. Et pourtant…

On trouve rarement qu’une chose est belle parce qu’elle est universellement belle. À part les bébés chats, mettons. On trouve les choses belles parce qu’elles s’inscrivent dans une tendance, et elles s’inscrivent dans une tendance parce que des personnes que l’on admire y sont associés. Parlez-en aux pantalons pattes d’éléphant.

Le bois de grange, comme plusieurs autres matériaux réutilisés, est jugé beau parce qu’il a été réhabilité par des artistes – dont on peut supposer qu’ils ont du goût – qui ont décidé d’allier économie, créativité et écologie dans un seul et même choix de matériaux : le bois abandonné de granges en décrépitude. Autrement dit, la prémisse à l’utilisation du bois de grange, c’est de protéger l’environnement tout en économisant, et la raison pour laquelle on trouve ça beau, c’est que les premières personnes à l’avoir utilisé sont, d’une certaine façon, des personnes admirables – que ce soit pour leur créativité ou leurs valeurs. Compte tenu de tout ça, acheter un revêtement de plancher en vinyle «style bois de grange» chez Home Dépôt ne s’inscrit dans absolument rien. Ça n’a plus aucun sens.

On casse souvent du sucre sur le dos des hipsters en prétendant qu’ils représentent le summum du nihilisme. Qu’en érigeant l’ironie en valeur suprême, ils invalident toute possibilité d’authenticité. Et on se réjouit de la mort annoncée de cette tendance qui prend tout au second degré. En effet, on pense que le hipster n’existe plus parce qu’il dédaigne maintenant s’adonner à des activités désormais jugées grand public, comme boire dans des pots Mason (concept au cœur de la liste de cocktails du restaurant de poutine près de chez nous).

Mais ce qui écoeure probablement davantage le hipster que le fait que Caro de Brossard capote sur les pots Mason, c’est le fait de voir qu’on en fait venir du Mexique avec une belle anse pour 30$ la douzaine. En fait, ça doit plus le faire rire que l’écoeurer, lui qui buvait là-dedans parce que c’est tout ce qu’il avait sous la main. Au fond, le hipster était peut-être beaucoup plus authentique qu’on ne le croyait. Et si vous le cherchez, vous ne le trouverez certainement pas en train de clouer du bois de grange dans son 4 et demi du Mile-End: c’est rendu beaucoup trop cher.

Note: Ce texte ne visait pas à porter un jugement négatif envers les personnes qui ont du bois de grange chez eux, qui boivent dans des pots Mason ou qui s’appellent Caro de Brossard.

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