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Que reste-t-il de notre homophobie?

Photo: Getty Images/iStockphoto

Jeudi, j’étais invitée à l’émission d’Isabelle Maréchal au 98,5 pour parler d’homophobie. J’ignore si j’avais mal compris l’angle au départ ou si c’est le concept même de la ligne ouverte qui fait que le sujet initial peut prendre n’importe quelle tournure, mais finalement, nous avons surtout parlé de l’homosexualité en 2014. Quoiqu’on en dise dans nos cercles d’initiés, je crois qu’il est encore pertinent de parler d’homosexualité en 2014. Mais comme je m’étais préparée plein de contenu sur l’homophobie au Québec, je vais me faire plaisir et vous faire part ici de ce qui je crois constitue les luttes à venir.

1. Une homophobie plus insidieuse

Au Québec, personne – même Jeff Fillion – ne se déclare homophobe. Être «contre les gais», comme s’il était possible d’être contre les chiens ou la tarte aux pommes, ferait l’objet d’une importante sanction sociale. L’homophobie prend au Québec des allures plus insidieuses. On entendra par exemple : «je n’ai rien contre eux, tant que ça reste dans la chambre à coucher», ou «j’ai rien contre ça, mais que le gouvernement nous impose des annonces où des gais s’embrassent devant les enfants à heure de grande écoute avec nos taxes…» On a même demandé à l’auteure de l’émission Unité 9 qu’elle slaque sur les scènes de lesbiennes, «parce que moi j’ai rien contre ça, mais je trouve que c’est inapproprié pour les enfants». (On se rappellera qu’Unité 9 est une émission passablement violente, pas tellement appropriée pour les enfants, et diffusée à 20h pour cette raison.) Ce genre de discours n’est généralement pas conscient de l’hétérosexisme dont il fait preuve : lorsque deux hétéros s’embrassent, on n’en fait pas grand cas, et lorsqu’un directeur d’école exhibe dans son bureau une photo de lui avec sa femme et ses enfants, on ne dit pas qu’il est en train de nous «imposer son orientation sexuelle» ou que quelque chose est «sorti de la chambre à coucher».

2. Homophobie et différences culturelles

Hier, avant d’entrer en ondes, l’un des invités, enseignant à l’école secondaire, mettait l’accent sur l’origine ethnique ou l’appartenance religieuse et l’homophobie, me donnant des exemples d’élèves réfractaires à l’homosexualité pour démontrer que c’était, selon lui, le prochain défi de la communauté LGBT. On m’a accusée de me mettre la tête dans le sable en refusant de reconnaître la corrélation «culture»/«homophobie». Je crois qu’il est important de préciser certaines nuances.

Le Groupe de recherche et d’intervention sociale (GRIS) identifie en effet l’appartenance religieuse ou ethnique comme un facteur d’homophobie chez les jeunes (le GRIS recueille des données sur l’homophobie lors de ses interventions dans les écoles), au même titre que le fait d’être un garçon et le fait d’être jeune (les élèves de 1ère et 2e secondaire sont plus susceptibles de démontrer un malaise face à l’homosexualité que les plus vieux), et attribue à l’éducation et aux valeurs familiales cette différence avec les élèves qui ne s’identifient à aucune religion.

Je ne nie pas cette réalité. Mais je me demande en quoi est-ce constructif de stigmatiser ainsi des jeunes – en pleine construction de leur identité – et de les condamner à l’homophobie. En faisant ça, on ne peut que conforter leur croyance selon laquelle ils n’ont rien à voir avec l’homosexualité et qu’il est normal qu’ils ne soient pas favorables à ça parce qu’ils appartiennent à un groupe religieux. On entendra ainsi : «Je ne peux pas accepter l’homosexualité, je suis musulman». Comment peut-on espérer qu’ils adhèrent à d’autres valeurs si nous les condamnons nous-mêmes dans leur homophobie? Non seulement faut-il leur montrer qu’il est possible d’être gai et musulman, témoin de Jehova ou catholique, mais surtout, leur donner des modèles d’imams, de pasteurs, de rabbins, de curés qui sont gais et/ou qui célèbrent la diversité sexuelle. De toute façon, en devenant adulte, ils évolueront dans une société où les lois protègent les homosexuels. Devenus adultes, ils comprendront qu’une attitude homophobe est mal perçue.

Pendant ce temps, des québécois bien pures laines sont convaincus qu’ils n’ont rien à se reprocher, ayant la certitude que le fait d’être de souche et laïc les épargne automatiquement d’avoir un comportement offensant envers la communauté LGBT.

3. Gais vs lesbiennes

Lorsqu’on me demande de parler d’homophobie et des luttes qui demeurent, on me demande presque invariablement de comparer le cas des gais et celui des lesbiennes. «Ça doit quand même être plus facile pour les lesbiennes…», dit-on généralement. Je suis aussi portée à le croire, mais je me demande s’il est vraiment possible de comparer ce que peut vivre un homosexuel et ce que peut vivre une lesbienne. C’est personnel et ça dépend de tellement de facteurs.

Les lesbiennes, comme les femmes en général, sont souvent moins visibles. On en connaît peu (allo Ariane!). Lorsqu’elles le sont, c’est encore trop souvent de manière hypersexualisée (ça passe bien, une lesbienne, dans une série télé : en plus d’être un symbole d’ouverture d’esprit, ça permet de montrer des belles filles qui se frenchent à l’écran). Et contrairement aux gais, elles ne constituent pas une force économique, comme en témoigne le nombre de commerces qui leur sont destinés dans le village gai.

Par contre, les lesbiennes ont définitivement un avantage de taille quand vient le temps de constituer une famille : deux mères, ça va. Chez deux pères, il manque forcément quelque chose, dans l’esprit de bien des gens (Qui va changer les couches? se demande notamment Peter Mackay). Les gais sont ainsi victimes des stéréotypes de genres. Il peut être plus difficile pour un homme gai de s’épanouir pleinement dans un milieu plus macho, comme la construction, les sports (où l’on commence à voir émerger certains modèles). Il s’avère aussi plus difficile pour un homme gai de faire son coming out en milieu scolaire, étant donné le malheureux amalgame que certains parents font entre pédophilie et homosexualité*. D’autres parents estiment aussi que l’école n’est pas une place pour afficher son orientation sexuelle, ne réalisant pas qu’une enseignante partageant avec ses élèves qu’elle est allée à la pêche avec son mari la semaine dernière est aussi en train d’«afficher son orientation sexuelle».

4. Homophobie homosexuelle

Les homosexuels peuvent-ils être homophobes? Oui. Je deviens toujours très embarrassée quand un homosexuel (ou un hétéro, on s’entend) me dit que lui, les tapettes, les grand’folles ou les bears, ça l’écoeure, ou qu’il a honte du défilé de la fierté parce que certaines personnes s’y présentent en chaps ou «avec des plumes dans le cul». J’éprouve la même sensation lorsque j’observe une ségrégation entre butches et femmes – les expressions consacrées – dans la communauté lesbienne. Chacun a le droit d’être mal à l’aise devant n’importe quel phénomène, mais je pense qu’il lui appartient de comprendre son malaise plutôt que de l’ériger en légitimité. Tous ceux qui demandent à ce que leur diversité soit acceptée (ça fait du monde en titi) devraient aussi se faire un devoir d’accepter la diversité… des autres.

5. Hétéronormativité

Quand je parle d’hétéronormativité, il y en a toujours au moins un pour me dire : «regardez-la qui ressort ses grands mots». Définissons, donc : l’hétéronormativité est «un système de normes et de croyances qui renforce l’imposition de l’hétérosexualité comme seule sexualité ou mode de vie légitime».

Ainsi, cette hétéronormativité s’immisce subtilement dans plusieurs sphères de notre quotidien, des publicités où le chum est mou et la blonde est germaine aux contes de fées qui finissent toujours par rencontrer leur prince charmant, en passant par les publications à l’usage des parents. Chaque fois qu’un parent écrit une lettre à «sa fille quand elle sera grande», je souris en constatant que l’enfant est toujours présumé hétéro.

Bonne nouvelle, contrer l’hétérosexisme fait partie du Plan d’action gouvernemental de lutte contre l’homophobie, même si certains pourfendeurs des théories du genre s’y opposent. De petits changements, comme ceux apportés par la CSDM dans ces formulaires, n’enlèvent rien à personne et font que des parents se sentent plus inclus.

6. La comparaison hétéro

Trop souvent j’entends la phrase «comme les hétéros» ou, pire, «comme les personnes normales», pour montrer comment les gais, lesbiennes, bisexuels et trans sont tout à fait «acceptables». Ils élèvent leurs enfants «comme des hétéros», ils s’aiment «comme des hétéros», ils se divisent les tâches «comme un homme et une femme». On dira «je fais le BBQ et mon chum conduit la voiture», comme pour prouver que les deux hommes s’adonnent à des activités «masculines», renforçant encore le fait que ces activités soient genrées. Le modèle hétéronormatif sexuellement stéréotypé est ainsi renforcé en tant que norme, comme s’il s’agissait d’une mesure étalon.

7. La transphobie 

Évidemment, il reste tout un terrain d’acceptation et de compréhension à défricher en ce qui concerne les personnes trans. Plusieurs refusent de reconnaître leur identité, s’obstinant à référer à elles selon leur genre attribué à la naissance. On sème – encore en 2014 – la pagaille lorsqu’on évoque la possibilité d’abolir la ségrégation sexuelle dans les toilettes. Les personnes trans sont encore aujourd’hui victimes de discrimination à l’emploi, plus sujettes à la pauvreté et à être victimes de crimes violents. Les demandes pour que cesse l’attribution sexuelle à la naissance sont ridiculisées par des acteurs pourtant progressistes.

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Quant à la transsexualité enfantine, elle est souvent perçue comme une lubie.

8. L’homoparentalité

On se croit pas mal bons, au Québec, avec notre programme de procréation assistée, entièrement couvert par le régime d’assurance maladie, sans discrimination de sexe, d’âge, d’orientation sexuelle ou de statut matrimonial. Or, le Ministre de la Santé aimerait bien couper dans le gras et le rendre accessible uniquement aux couples vivant une infertilité dite médicale, ce qui exclurait de facto les couples homosexuels, dont l’infertilité est considérée comme sociale. Encore là, peu de commentateurs sont conscients de l’hétéronormativité dont ils font preuve lorsqu’ils portent un jugement sur les projets parentaux homosexuels.

* Certaines personnes éprouvent de la difficulté à afficher leur orientation sexuelle en raison d’une homophobie intériorisée, c’est-à-dire qu’ils prennent pour acquis, souvent en raison de leurs expériences passées ou de leur éducation, que leur homosexualité ne sera pas acceptée par le milieu et que de l’afficher pourrait leur nuire, qu’ils pourraient perdre leur emploi ou être victimes d’intimidation. Présumer de l’homophobie de certaines personnes en raison de leur appartenance religieuse, de leur race, de leur âge ou de leur sexe est une autre forme d’homophobie intériorisée qui peut mener, par exemple, un homosexuel à ne pas vouloir révéler son orientation sexuelle chez le médecin, par exemple, bien que les lois le protègent contre la discrimination à cet égard.

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