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Une marche des gouines. Pourquoi?

Photo: Yves Provencher/Métro

Ceux qui lisent régulièrement mes chroniques me considèrent peut-être comme une militante lesbienne radicale. Pourtant, chaque fois que j’entends parler de la Marche des lesbiennes, depuis trois ans, je fronce les sourcils en me demandant ce que les lesbiennes du deuxième millénaire peuvent bien avoir à revendiquer. Je sais que globalement, tout n’est pas gagné en terme de droits des gais, lesbiennes, bisexuel(le)s et trans. Et je sais que nous avons encore des croûtes à manger en matière d’égalité hommes/femmes. Mais rarement je considère le fait d’être lesbienne comme une cause spécifique d’oppression.

«T’es sérieuse?», m’a demandé, surprise, Barbara Legault, l’organisatrice de la marche, étonnée autant que vous, j’imagine, de constater qu’une personne sensible aux causes LGBT soit plutôt inconsciente des enjeux propres à la communauté lesbienne. Devant la cause des lesbiennes, je suis un peu comme la PDG d’une compagnie qui s’obstine à dire qu’il n’y a pas de plafond de verre la preuve étant qu’elle a réussi à devenir PDG. J’ai donc appelé Barbara, ne demandant qu’à être convaincue et à comprendre les revendications du groupe censé représenter mes intérêts.

«La première chose qu’on fait, en tant que Marche des lesbiennes, c’est d’organiser la marche en tant que telle. C’est un événement de visibilité», m’explique Barbara. En effet, je dois le concéder, les lesbiennes sont invisibles. Depuis toujours, pour toutes sortes de raisons, les gars gais ont mieux réussi que les lesbiennes à s’organiser en groupe. Ils ont des magazines, des bars à eux, ils constituent un pouvoir économique reconnu. «Les lesbiennes sont des femmes et les femmes ont moins de visibilité que les hommes. C’est pour ça qu’on s’inscrit dans une perspective féministe», esquisse Barbara en guise d’explication, parmi d’autres, de ce manque de visibilité.

En lisant le libellé de l’événement, je comprends aussi que la Marche des lesbiennes s’inscrit dans une perspective anticapitaliste plus large, mais je reste encore sur ma faim quant aux revendications propres aux lesbiennes. On y parle, par exemple, de lesbophobie. Je sais que Barbara et cinq autres lesbiennes ont été victimes d’un acte de violence homophobe à l’automne dernier. Huit gars s’en sont pris physiquement à elles après les avoir traitées de «grosses lesbiennes sales», mais je refuse de ne pas considérer ce geste épouvantable comme un acte isolé, anecdotique.

«Je suis certaine que quand tu te promènes tranquille avec ta blonde, il t’arrive qu’un gars vous fasse un commentaire méprisant, du genre “voulez-vous faire un trip à trois les filles?”», me répond Barbara. Ça m’arrive, en effet, régulièrement. Mais je considère toujours la chose comme un énième épisode de misogynie.

«Justement, m’explique Barbara, la lesbophobie, c’est la conjonction de l’homophobie et du sexisme. C’est subir à la fois l’oppression du système patriarcal parce qu’on est des femmes, et l’oppression de l’hétérosexisme parce qu’on est homosexuelles».

Ça m’a rappelé que l’autre jour, quand le plombier m’a dit : «Tu donneras ça à ton chum», je ne me suis pas dit qu’il était hétérosexiste de prendre pour acquis que j’avais un chum, j’ai juste conclu que les stéréotypes de rôle étaient encore bien ancrés, pour qu’il croit que «mon chum» paierait la facture du plombier.

«S’il n’y avait pas de lesbophobie, ça n’aurait pas pris dix ans à Ariane Moffatt avant de faire son coming out», ajoute Barbara Legault. «Les jeunes filles qui sont encore gênées d’assumer leur homosexualité à l’adolescence, les lesbiennes âgées qui, après des années de militantisme, sentent le besoin de rentrer dans le placard lorsqu’elles entrent en foyer pour personnes âgées, les lesbiennes qui ne correspondent pas aux normes en ayant une identité de genre différente, sont toutes victimes de lesbophobie», dit-elle, écorchant au passage la série Féminin/Féminin, qui véhicule à son avis une forme de lesbonormativité.

On pourrait penser que la websérie de Chloé Robichaud fait beaucoup pour démystifier l’homosexualité féminine, mais sous la loupe intersectionnelle, elle ne fait le portrait que de la lesbienne privilégiée.

«Toutes les actrices sont blanches [NDLR : en fait, l’une d’entre elles n’est pas blanche], jeunes, salariées, minces, assez féminines, éduquées, et le propos principal, c’est de dire que les lesbiennes sont comme les hétéros, comme si on avait encore besoin de calquer le modèle hétérosexuel pour valider notre normativité», se désole Barbara Legault.

Personnellement, je suis mal à l’aise avec ce genre de débat parce que je pense que la fiction a le droit de dépeindre la réalité qui lui plait, mais j’imagine que je dis ça parce que je suis une lesbienne blanche, jeune, mince et salariée.

La Marche des lesbiennes démarrera à la place Émilie Gamelin, ce samedi, 9 août, à 18h.
La marche est exclusivement lesbienne, mais le concert qui suit est ouvert à tous, sauf aux lourds qui espèrent y décrocher «un trip à trois».

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