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Le secret des couples qui durent

Le Dico des filles, cette «bible» de réponses aux questions que se posent apparemment toutes les jeunes filles modernes, a été vivement critiqué par des groupes féministes, et son retrait des bibliothèques publiques a été exigé par certaines. Bien qu’il y ait matière à débattre sur les nuances entre la critique et la mise à l’index, c’est le biais hétéronormatif de l’affaire qui retient mon attention aujourd’hui.

L’édition 2011 du Dico des filles errait dans les méandres des stéréotypes en affirmant «qu’il existe des couples homosexuels stables. Mais souvent, les relations sont éphémères, instables et les homosexuels ont du mal à se projeter dans l’avenir». Avec ses «rassurez-vous: les garçons a-do-rent!», et ses étranges explications quant au questionnement sur l’homosexualité à l’adolescence – «À votre âge, il arrive qu’on vive des relations si intenses avec des amies (surtout sa meilleure amie) que l’on peut se croire homosexuelle. […] Ce peut être simplement que les garçons vous font un peu peur parce qu’ils sont trop différents, trop incompréhensibles» –, tout indique que l’édition de 2014 ne fait guerre mieux en matière de démystification de la diversité sexuelle.

À la défense du Dico des stéréotypes, dont l’éditeur, Fleurus, est Français, l’entrée sur l’homosexualité reflète peut-être un certain état des lieux en France. Dans l’histoire, plus l’homosexualité a été tolérée, pour être ensuite complètement acceptée, plus les gais, lesbiennes, trans et bisexuels ont pu s’épanouir et, pour reprendre l’expression du Dico, «se projeter dans l’avenir». À l’époque où elle était illégale – et cela perdure dans les pays où elle l’est encore – l’homosexualité était vécue de manière clandestine. Plusieurs gais et lesbiennes – parmi ceux qui le pouvaient – faisaient alors le compromis de la vie familiale hétérosexuelle et vivaient, en cachette, leur «vie de péché», qui pouvait difficilement, dans de telles circonstances, faire autrement que de se résumer à de la sexualité. Pas de quoi se projeter très loin. Ceux qui assumaient pleinement leur différence vivaient en marge, souvent rejetés par leur famille. D’autres réussissaient à vivre avec l’être aimé en passant pour vieux garçon ou vieille fille, avec aucune possibilité jamais d’être considérés comme une famille ou même comme deux êtres qui s’aiment.

La réalité a changé bien sûr en France, d’abord avec les PACS en 1999, qui permettent aux couples de même sexe d’être reconnus comme tels, mais il demeure difficile, même depuis l’adoption du mariage pour tous en 2013, d’y fonder une famille. Jusqu’à tout récemment, deux personnes de même sexe qui élevaient ensemble un enfant ne pouvaient être reconnus comme les deux parents de l’enfant. En cas de séparation houleuse, l’enfant risquait d’être privé de l’un de ses parents et le parent non biologique, privé de son enfant. Pour reprendre une expression que le chroniqueur du Devoir utilisait, lui, à l’encontre de la gestation pour autrui, il s’agissait-là d’une véritable «fabrique d’orphelins».

Si les couples de même sexe peuvent aujourd’hui adopter conjointement un enfant, la création d’une famille homoparentale demeure laborieuse en France. La procréation médicalement assistée (de l’insémination artificielle – qui n’est, rappelons-le, qu’une simple injection de sperme dans le vagin – à la gestation pour autrui) y demeure illégale pour les conjoints de même sexe. Ainsi, plusieurs couples homosexuels, surtout lesbiens, s’exilent en Belgique, en Angleterre, aux Pays-Bas ou en Espagne le temps de l’insémination, croisant les doigts pour que leur parentalité soit reconnue à leur retour. Or, même depuis l’adoption de la loi sur le mariage pour tous, rien n’est garanti. Plusieurs jugements ont été rendus contre l’adoption de conjoints de même sexe après PMA. On accuse ces parents d’avoir «contourné la loi» ou de vouloir établir «frauduleusement» la filiation de l’enfant. Bref, des bandits. Avec les conséquences mentionnées précédemment que ça implique.

C’est pourquoi, depuis une dizaine d’années et visiblement pour encore quelque temps, plusieurs couples de ressortissantes françaises viennent s’installer au Québec pour fonder leur famille et être reconnues légalement comme parents.

Évidemment, il y a bien d’autres moyens que de rêver d’une famille pour se «projeter dans l’avenir» comme couple. Plusieurs couples sans enfants s’émancipent pleinement dans leur choix, libre et consenti ou, au pire, résigné, de ne pas avoir d’enfants. Mais je me demande combien d’unions hétérosexuelles réussiraient à s’imaginer à long terme, vieillir ensemble, si on imposait autant de bâtons dans les roues de leur projet familial. Après tout, si on veut porter un jugement différentiel sur les couples de même sexe, encore faut-il pouvoir comparer des pommes avec des pommes. Au fond, le Dico des filles aurait-il quelque chose de revendicateur? Le reste du contenu à saveur catho-conservatrice indique malheureusement que ce n’est pas le cas.

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