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Qui sauvera la peau des pigistes

Photo: Josie Desmarais/Métro

La transaction qui envoie le magazine Véro (et plusieurs autres) aux mains de Groupe TVA (propriété de Québecor bien sûr) fait beaucoup jaser. Pour être totalement transparente avant d’embarquer dans le vif du sujet, je dois vous avouer que je collabore à l’occasion à Véro, de même qu’à Elle Québec ainsi qu’à d’autres publications de TC (dont Métro) et que si la transaction en question est entérinée, il y a de fortes chances que Québecor devienne aussi un client. La transaction aura donc un impact certain sur mon travail et celui de plusieurs de mes collègues pigistes.

Hier, l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ) et la Fédération nationale des communications (FNC) publiaient de concert un communiqué dans lequel elles émettaient le vœu pieux que le Groupe TVA honore les contrats des pigistes signés avec TC. En effet, depuis des années, l’AJIQ milite pour que Groupe TVA modifie ses contrats qu’elle juge parmi les plus irrespectueux du milieu du magazine, notamment en raison des droits d’auteurs que doivent céder les journalistes pour publication sur toutes les planètes de l’univers pour les siècles à venir sur des supports pas encore inventés. Récemment, TC envisageait de faire signer de tels contrats à ses pigistes, mais l’AJIQ a réussi à l’en dissuader (même si mon petit doigt me dit qu’une certaine vedette ayant son nom sur la couverture d’une des publications les plus rentables de l’entreprise ait aussi eu son mot à dire dans l’affaire). C’était une bonne nouvelle.

Vous voyez donc le topo: hier, des pigistes qui avaient fait le choix difficile – dans un milieu déjà concentré – de ne pas travailler pour Québecor se sont retrouvés devant encore moins d’alternatives.

Concrètement, que signifient les contrats jugés abusifs pour les pigistes? Cela signifie que le texte que vous écrivez pour 7 Jours pourra être repris dans un recueil de portraits de vedettes publié par TVA, où encore que vous ne pourrez pas vendre le portrait de Maxime Landry que vous avez écrit pour 7 Jours à La Semaine ou à Time. Mais, sans rien vouloir enlever aux efforts qu’a déployés l’AJIQ pour défendre nos intérêts de pigistes, cela n’arrive jamais. Dans un milieu aussi petit que le Québec, il n’y a aucune chance que vous puissiez vendre à une autre publication un portrait de Maxime Landry qui vous a été commandé par 7 Jours. D’autant que souvent, les commandes sont fortement teintées de l’esprit de la publication et qu’il faudra revenir 100 fois sur le métier avant de pouvoir exploiter votre article à nouveau ce qui, d’un point de vue strictement rationnel, est rarement rentable. Un seul journaliste fait ça au Québec et en lisant son livre, Écrire pour vivre, le constat de la plupart des pigistes est que ce modèle d’affaires est très difficile à reproduire, à moins d’être marié à une auteure anglophone comme l’est l’auteur et de pratiquer dans un créneau ultra universel (c’est-à-dire: pas dans le créneau des portraits de vedettes connues au Québec seulement). Pour le reste, il est très rare qu’un groupe de presse décide de vendre un article à un autre client et quand il le fait, on est heureux de recevoir 50$.

Ça ne signifie pas qu’il faille baisser les bras. Il est important, par principe, que les contrats soient respectueux du travail des pigistes. Mais qu’est-ce, en réalité, qu’un contrat liant un pigiste à un éditeur de magazines? Pas grand-chose. Il s’agit, en fait, d’une entente de collaboration signée entre l’auteur et l’éditeur à la première commande, et qui s’applique généralement aux œuvres commandées dans l’année qui suit la signature de l’entente. Il ne s’agit en aucun cas d’une entente qui oblige l’éditeur à commander un certain nombre de textes à l’auteur. Si quelqu’un a signé ce genre de contrat au Québec, qu’il m’écrive en privé pour me donner ses trucs! Autrement dit, même après la signature du contrat, rien n’oblige le magazine à faire affaire avec le rédacteur et il arrive souvent qu’on soit sans nouvelles d’un client, jusqu’à ce qu’il rapplique sept mois plus tard avec une commande super emballante. Il faut avoir les nerfs bien accrochés pour vivre de la pige au Québec!

Quand, donc, l’AJIQ et la FNC demandent à Groupe TVA d’honorer l’entente que TC a signée avec ses pigistes, elles demandent bien peu. Elles demandent que nos droits ne soient pas cédés à tous vents, ce qui, dans la réalité d’un pigiste, a peu d’impact réel. Ce que se demandent des centaines de pigistes en ce moment, c’est «est-ce que j’aurai encore un client demain». Et les arguments que donnent l’AJIQ et la FNC sont loin d’être convaincants. Je vous soumets à titre d’exemple cette citation de Simon Van Vliet, vice-président aux affaires stratégiques et juridiques de l’AJIQ: «Avec toutes ces transactions qui concentrent les médias entre les mains des mêmes propriétaires, ça devient vraiment difficile de trouver des donneurs d’ouvrage qui offrent des conditions de travail décentes pour les pigistes».

Ça, se sont des arguments pour tirer des larmes à des militants de gauche déjà convaincus de la gravité de la situation. Pas des arguments pour convaincre un important groupe de presse de garder son monde à des conditions respectueuses. Au contraire, ce que ça dit au groupe de presse en question, c’est que selon la loi de l’offre et de la demande, nous sommes de plus en plus de pigistes misérables prêts à signer n’importe quoi pour avoir du travail, alors vous avez le beau jeu de ne pas respecter l’entente encombrante qui liait les publications que vous avez acquise à des pigistes facilement remplaçables.

Il est délicat de critiquer l’AJIQ parce que force est de reconnaître qu’ils font leur gros possible avec le peu de moyens dont ils disposent et en situation de déséquilibre des forces. Leur suggestion la plus prometteuse: que l’AJIQ soit reconnue comme une sorte de syndicat afin qu’elle ait le pouvoir de négocier collectivement un contrat d’édition de base, comme le fait l’UDA avec ses membres. Mais pour ça, il faut une volonté politique. Je me demande qui aura cette volonté: l’actuel premier ministre libéral ou l’éventuel chef du Parti québécois?

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