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6 décembre: À qui la faute?

«Les armes à feu ne tuent pas. Ce sont les humains qui tuent». C’est par cette petite rhétorique bien ficelée que la National Riffle Association (NRA) et d’autres organisations pro-armes traficotent la question de la responsabilité derrière les meurtres, tueries, fâcheux accidents et autres carnages qui ont en commun d’avoir été perpétrés à l’aide d’armes à feu. Elles détournent ainsi la faute, la faisant passer de l’arme que l’on pointe instantanément du doigt lorsqu’une telle tragédie survient, vers l’individu incompétent, déviant ou malsain qui en fait un mauvais usage.

La rhétorique est habile parce qu’elle n’est pas complètement fausse. Derrière chaque crime commis à l’aide d’une arme à feu il y a quelqu’un qui en a fait un mauvais usage, à supposer qu’il y ait véritablement un bon usage possible d’une arme à feu (Se défendre contre un ours? S’amuser à gaspiller des ressources dans un champ de tir? S’adonner à la chasse récréative?). Là où cette rhétorique erre cruellement, c’est en évacuant la facilité avec laquelle l’arme à feu tue et le pouvoir de force presqu’invariablement détourné à la faveur de la personne qui l’a entre les mains. Les armes à feu tuent plus vite et plus facilement que n’importe quoi.

À chaque six décembre, les familles des victimes de Polytechnique semblent unies d’un bloc pour un contrôle plus serré des armes à feu. Sauf Claude Colgan, le frère d’Hélène Colgan, une pro-arme tombée sous les balles de Marc Lépine. Lui milite pour que la tragédie cesse d’être récupérée politiquement par le lobby anti-armes, auquel sa sœur se serait opposée, croit-il. Mais si Claude Colgan fait du déni quant à la responsabilité des armes à feu dans cette tragédie, on ne saurait imputer le crime qu’à l’objet qui a permis de l’accomplir.

Aux lendemains d’une tragédie, et même 25 ans plus tard, nous cherchons des coupables à ce qui nous apparaît inexplicable. L’humain est ainsi fait qu’il pointera du doigt ce qui lui apparaît le plus évident : les armes à feu, les jeux vidéo, Marilyn Manson, incapable d’accepter que les causes de telles tragédies sont, bien souvent, structurelles, multiples, et qu’aucune solution simple ne permettra de régler d’un seul coup le fléau des tueries. Les armes à feu ont fait quatorze victimes le 6 décembre 1989, de même que la misogynie, la violence, la folie, la pauvreté, le discours ambiant, la culture machiste, le sentiment de droit acquis.

Mais militer contre les armes à feu a un effet beaucoup plus apaisant et immédiat sur le sentiment d’impuissance que de militer contre un ennemi flou comme le patriarcat. D’autant plus que «militer contre le patriarcat», militer contre le fait que des hommes se sentent menacés par le fait que des femmes réclament la place qui leur revient, passera immanquablement pour de la frustration anti-hommes. Il y en aura toujours pour interpréter ce combat comme une lutte contre les hommes. Il y en aura toujours pour nous rappeler, comme si on ne le savait pas déjà ou comme s’ils étaient les premiers à nous le faire remarquer, que 1. Tous les hommes ne sont pas Marc Lépine et que 2. Les hommes souffrent aussi.

Nous devons continuer à revendiquer un contrôle plus serré des armes à feu. Mais nous devons aussi, 25 ans après la tragédie de Polytechnique, reconnaître que certains discours qui peuvent conduire des hommes à penser qu’ils ont perdu des privilèges qui leur étaient dus au profit des femmes sont toujours en place. Ces discours sont présents à la télévision, dans la publicité, dans la musique populaire, dans les jeux vidéo, dans les jouets que nous offrons à nos enfants dès leur plus jeune âge. Et tant que cette culture perdurera, nous aurons beau contrôler ce qu’il nous apparaît possible de contrôler, il y aura toujours de la violence faite aux femmes.

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