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Pourquoi refuse-t-on parfois de dénoncer l’indéfendable?

Photo: Archives Métro

Chaque fois que quelqu’un refuse de dénoncer l’indéfendable, la preuve est faite que nous vivons dans un univers médiatique capable de bien peu de nuances. L’occasion nous a encore été donnée de constater cette forme subtile de manichéisme lors d’une entrevue musclée qu’a accordée Adil Charkaoui à Anne-Marie Dussault, à l’émission 24 heures en 60 minutes sur les ondes de RDI. L’animatrice exhortait l’imam de condamner l’État islamique. Or, demander à quelqu’un de condamner une chose, aussi indéfendable soit-elle, en sous-entend plusieurs autres.

Cela sous-entend premièrement que la personne à qui l’on demande une profession de foi est liée d’une manière ou d’une autre à la chose condamnable, ce à quoi Charkaoui a répondu, avec raison, «Pourquoi vous me demandez ça à moi?». Rappelons que les accusations de terrorisme qui pesaient contre Adil Charkaoui ont été abandonnées et qu’il est innocent jusqu’à preuve du contraire. Personnellement, si j’étais une terroriste, j’éviterais de me pointer le bout du nez à la télévision nationale, mais bon, je comprends qu’on ne réfute pas une preuve de cette façon. Cela nous permet-il de lui demander de se dissocier d’un mouvement duquel il n’est lié d’aucune façon? L’argument principal de madame Dussault est que le site du Centre communautaire islamique de l’Est de Montréal mène à «deux clics de souris» de documents djihadistes, de la même façon que deux clics de souris me séparent de Mein Kampf ou de eux-autres. À ce compte-là, nous sommes tous des terroristes en puissance. Ceux qui ne comprennent pas ce qu’il y a d’islamophobe là-dedans peuvent s’imaginer que l’on demande à tous les Noirs de se dissocier des gangs de rue, à tous les hommes blancs de se dissocier de la violence faite aux femmes, à tous les prêtres catholiques de se dissocier de la pédophilie, ou à toutes les associations étudiantes de se dissocier des blacks blocs. Hmm…

 

Cela sous-entend aussi que la chose à condamner soit la seule responsable d’une problématique plus large, comme lorsqu’on demande à quelqu’un de reconnaître ses torts sans reconnaître les siens. Sans adhérer aux théories du complot présentées par Adil Charkaoui, reste qu’il est vrai que les djihadiste n’ont pas le monopole de la violence et que les causes du terrorisme islamique ont plus de chances d’être trouvées dans la guerre et l’exclusion que dans les écrits de Mahomet ou le site internet d’Adil Charkaoui. Anne-Marie Dussault prétend dans cette entrevue que dans l’esprit de plusieurs, le terrorisme peut générer de l’islamophobie. Je ne suis pas sûre que d’accorder une once de crédit à de telles idées soit digne de Radio-Canada. La communauté musulmane est la première victime des actes terroristes, au sens propre comme au figuré. Par ailleurs, l’islamophobie peut aussi générer, sans que cela ne soit justifié bien sûr, du terrorisme. Mais qui est-on en train de blâmer?

 

Cela sous-entend par ailleurs que ne pas condamner l’État islamique, c’est l’endosser. Et c’est là que l’humanité, elle, se dissocie de toute forme de nuances. Il semble pourtant si facile de condamner quelque chose d’aussi horrible que l’État islamique. Des décapitations gratuites, de la violence faite aux femmes, des bébés qui explosent, c’est mal, point final. Le téléspectateur moyen se demande alors: «C’est quoi son problème, de ne pas être capable de dénoncer ça!»

 

Ce sont tous les sous-entendus précédemment cités qui expliquent pourquoi, dans certains cas, certaines personnes refusent de condamner l’indéfendable. Pas parce qu’ils sont pour, évidemment, mais parce que condamner, c’est admettre un paquet d’affaires qu’on n’est pas prêts à admettre sans compromettre son intégrité. Demander à quelqu’un de condamner une chose à laquelle il n’est pas lié, c’est le placer devant un non-choix : soit il admet qu’il soit légitime qu’on lui demande de se dissocier de la chose en la condamnant, ce qui le lie à la chose, soit il refuse de la condamner, ce qui tend à l’associer, dans l’esprit de plusieurs, à cette chose. Dans les deux cas, l’interlocuteur est perdant, à la différence que dans le second, il est en accord avec ses principes. C’est pourquoi il opte pour ne pas condamner l’indéfendable.

 

Ce qui est dommage, dans cette entrevue, c’est qu’il est tout à fait possible de critiquer les positions d’Adil Charkaoui sans sombrer dans l’islamophobie. On peut lui reprocher toutes sortes de choses. Notamment, on lui reproche régulièrement sa quérulence, sa propension à se présenter en victime. En l’occurrence, ici, c’est Anne-Marie Dussault qui en a fait, devant nos yeux, une victime en règle. Cette entrevue nous a donné des raisons de croire que cet homme a peut-être raison, finalement, de se présenter en victime perpétuelle. Il aurait été à l’avantage de l’intervieweuse de faire subir à Charkaoui un interrogatoire serré sans en faire… un martyr.

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